S'il y a quelque chose qu'Eddy Mitchell connaît, c'est la musique. Quelques années après avoir pompé Louisianna Boogie, petit chef-d'oeuvre des années 40 du James Dean de la musique cajun, le grand Harry Choates (Devil in the Bayou, Bear Family), pour le travestir en Pas de boogie woogie (avant les prières du soir), il a refusé avec classe le cadeau que lui offrait Pascale Clark (dans Aparté, sur Canal +), un petit livre en apparence inoffensif qui aurait dû flatter ses penchants crooners. Le livre s'appelle Frank, il est signé Eric Neuhoff, critique de cinéma au Figaro Madame et garçon coiffeur bien connu de la littérature pour dames. Si Eddy Mitchell a refusé ce livre-cadeau à deux reprises, c'est qu'il le savait empoisonné. Frank n'est pas seulement un torchon sentimental sur la vie de Sinatra, c'est une offense à qui aime et connaît le cinéma. Et s'il y a quelque chose qu'Eddy connaît, c'est le cinéma.
Ce qui scandalisait à juste titre Eddy Mitchell, c'est qu'un écrivaillon de la droite la plus poussiéreuse, sans doute émoustillé par l'irrépressible passion masochiste du pauvre Sinatra pour la belle Ava Gardner, ait cru voir sur le tournage de Mogambo (Ford, 1953), où Frank l'avait rejointe, un certain Gérard Blain, qui n'arriva à Hollywood que dix bonnes années plus tard, pour y tourner Hatari ! sous la direction de Howard Hawks. Le petit écrivain se prenait-il, à travers Gérard Blain, pour le témoin-voyeur des amours terminales du roi des crooners et de la comtesse nue