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Libération

La lettre

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publié le 20 octobre 2003 à 1h27

Nous sommes dans le village d'Acadjamé, au Bénin. Il fait nuit. Le père Paul a allumé une bougie et sa lampe à huile. Il va chercher la dernière lettre de Félicie. Ils se sont rencontrés en 1943. Se sont connus du bout des lèvres. «Je ne t'aimerais pas tant si je n'aimais pas Dieu beaucoup plus que toi», écrit-il un jour. Il l'aime tant. Il la quitte pour l'apostolat. Après cinquante ans d'Afrique, Paul est rentré en France. Il a cherché à revoir Félicie. Elle est aujourd'hui veuve. Ils se sont retrouvés (1).

«Voilà la dernière lettre qu'elle m'a envoyée», dit le père Dupuis. Du bout de l'index, il remonte ses lunettes. De la sueur perle à son front. «Saint-Brieuc, le 4 décembre 1945. Paul. Tu me demandes là le plus beau et le plus grand des sacrifices que l'on puisse faire ici-bas. Je le ferai pour que tu sois un bon et saint prêtre.» Il parle lentement, comme s'il déchiffrait une langue ancienne. «Je suis loin d'être égoïste.» Sa voix se brise. «Non, je ne veux pas avoir le remords, et me dire que par ma faute, peut-être, il y aurait des âmes à se perdre. Car un prêtre de moins, c'est beaucoup pour l'Eglise. Paul, je te quitte.» Il tremble les mots. «Car je n'ai pas le courage de te dire davantage.» Nous sommes en Bretagne. Paul et Félicie marchent à pas voûtés. Elle lui tient le bras et s'aide d'une canne. Il a 77 ans, elle en a 80. Ils s'assoient côte à côte.

Ils ne se regardent pas. Ils font silence. Félicie trace des traits sur le sable, entre les coquillages et les gale