Nous sommes en novembre, au café-restaurant Le Challenger, à Aubervilliers, Seine-Saint-Denis. Les alcools sont alignés derrière le bar. Suspendues derrière Isaac, des grappes de tickets de loterie. Lui, c'est le patron. Cravate et tablier blanc, il dit bonsoir aux uns, au revoir aux autres. Il fait nuit. Tout en parlant, il porte un morceau de pastèque à sa bouche. «Ça va ?», lui demande un client. «Ça va mieux maintenant que j'ai grignoté», répond le patron. Isaac est musulman. Il vient de rompre le jeûne (1).
«Tu fais ramadan, toi ?» L'homme qui parle est accoudé au bar. Cheveux blancs et accent du faubourg. Il a 67 ans, la voix pâteuse, des gestes d'à peu près. «Oui», répond le patron. «Ben c'est normal», dit le client. Il pose un doigt sur ses lèvres, tête penchée et les yeux brillants. Il observe Isaac en souriant. «Je sais, je regarde, je dis "tu fais ramadan", c'est tout. On s'en fout de ça, c'est sûr !» «Il faut savoir ce qu'on veut», répond Isaac. Le client se redresse, solennel. «Ben, c'est normal ça ! Hé ho ! Y a pas un mot à dire. Jamais !» Bref silence. Il reprend. «Le vrai musulman qui fait ramadan, il boit jamais d'alcool. Voilà. C'est tout !» Il allume une cigarette. «Si tu fais le ramadan, tu le fais pour toi. Si tu le fais pas, c'est ton problème», dit le patron. Le client hoche la tête. Pense à autre chose. «Quand j'ai passé le concours de fort des Halles...» «Tu as passé le concours de fort des Halles ?», coupe le patron. Il semble saisi. «Oui, ben oui»,