C'est l'histoire d'un cinéma qui puisa une extraordinaire puissance plastique et émotionnelle dans l'élan révolutionnaire des années 20, affronta le stalinisme sans perdre sa substance et se trouva fort dépourvu quand le dégel fut venu. Après les oeuvres fondatrices d'Eisenstein, Dovjenko, Vertov, arriva le «réalisme socialiste» mis au point par Staline, qui obligeait les artistes non pas à décrire la réalité telle quelle mais telle que le parti était en train de la transformer : radieuse. Le mensonge sur lequel reposait le stalinisme, exemple inégalé de manipulation des masses par la propagande idéologique, n'en fut pas moins (paradoxe aussi terrible que terriblement passionnant) un terreau de croyance qui stimula les cinéastes. Mais très vite, la nouvelle religion répandue par Staline débouche sur une esthétique de la peur et de la violence, puisqu'il faut traquer sans cesse un ennemi intérieur aussi chimérique qu'omniprésent. Le cinéma, instrument fétiche du régime politique le plus meurtrier qui fût, se fait alors vecteur fidèle de l'idéologie de l'encerclement, transformant la délation en exploit révolutionnaire, distillant la méfiance au coeur des familles.
Les extraits de films sont nombreux (le Grand Citoyen et les Paysans, d'Ermler, la Grande Vie, de Loukov, la Voie radieuse, d'Alexandrov, la Carte du parti, de Pyriev, le Pré de Béjine, d'Eisenstein...), donnant une idée très précise de la terreur de ces années-là et de la manière dont le cinéma réussit, malgré la su