Léonard a 15 ans et demi. Tout à l'heure, nous l'avons vu résister à Shérif en lui disant : «Je vais te buter.» L'éducateur avait coincé l'adolescent contre un mur pour lui rappeler qu'aucune violence n'était admise. Léonard est brutal. Il passe des poings aux larmes et les autres garçons le détestent. Nous sommes au centre éducatif fermé de Saint-Denis-le-Thiboult, près de Rouen. Délinquant en rafale, Léonard vit ici sa dernière chance d'enfant. Un seul accroc et le juge l'envoie en prison. Léonard est noir. Tony, l'éducateur, est noir aussi. Ils sont assis à table. Léonard se plaint à Tony (1).
«C'est sanction ! Allez ! Cherche pas à comprendre ! Deux cigarettes en moins ! On t'enlève ta radio ! Moi aussi je peux le faire», grogne Léonard. «T'as une merde dans la tête ? C'est pas parce qu'on va te mettre un coup que tu vas le rendre aussitôt !» répond Tony. «Ben si.» «Ha ! Ben voilà ! C'est ce que je dis, t'es trop dans la violence.» «Si j'le rends pas, demain il va me le faire !» proteste le garçon. Tony sourit. «Mais alors on parle à une victime ? C'est toi le leader et ils vont te refaire quoi ?» «Vous vous inventez des mots de fou, là. Leader ! C'est pas bien.» «Deux connotations pour leader, explique l'éducateur, positive ou négative. Actuellement, t'es négatif. J'te mens pas. Sur le comportement, le verbe. Tu peux me dire le contraire ? Tous les jours on note tes insultes, provocations, menaces verbales.» Léonard baisse les épaules comme un écolier puni : «Mais non !