En 1947, l'ingénieur Jean Rouch cherche du boulot. Il est reçu par un monsieur, lui aussi est ingénieur, qui lui demande ce qu'il a fait pendant les quatre ans de l'Occupation. «Moi, j'ai fait la guerre.» Réponse du constructeur de ponts : «Quel temps perdu !» Jean Rouch se lève, sort de la pièce et décide qu'il ne fera désormais que ce qui lui plaît, philosophie, littérature.
Tant pis pour les ponts, tant mieux pour les hommes. Un ami lui parle des caméras 16 mm que l'on trouve aux Puces, légères et maniables. Il s'en dégotte une et file remonter le Niger. Il n'a jamais filmé de sa vie. À son retour, la moitié du film est inutilisable. Seules montrables, une scène de danse rituelle, une scène de chasse à l'hippopotame. Le jeune homme organise une projection au musée de l'Homme devant Leroi-Gourhan et Lévi-Strauss, puis, un soir, au Lorientais, le club de jazz de la rue des Carmes. Le fils d'un ponte des Actualités françaises lui propose de montrer le film à son père. Jean Rouch, sans le sou, est ravi. Pas pour longtemps. Le ponte le convainc de lui laisser ses notes, ses équipes se chargeront du montage, d'écrire le commentaire et de la musique. Le film sort dans les salles de cinéma, intégré aux Actualités de l'époque, affublé d'un titre vendeur Au pays des mages noirs, d'un avertissement qui parle des risques et périls qu'aurait encourus le «chasseur d'images» qui l'a tourné. La musique est dramatique, le commentaire pas moins.
Comme le dit l'anthropologue : le Noir de l'ép