Une femme couchée sur le dos, un enfant prostré, une jeune fille dans l'herbe, une autre à ses côtés, un cadavre en robe pailletée de soleil, des hommes en tas dans la poussière. Nous étions en 1988 et c'était jour de marché à Halabja, dans le Kurdistan irakien. Au matin, des dizaines d'avions ont survolé la ville, et aussi Duceyda, Inab, Hurnalet et Sirva, les villages alentour. La première vague a largué des bombes classiques, précipitant les habitants dans les caves. La seconde attaque était au gaz, un gaz lourd et dense, qui s'est insinué partout où la vie s'était réfugiée. L'Irak était en guerre contre l'Iran. Pour les Kurdes, pour l'opinion internationale, les avions étaient irakiens. Halabja payait ainsi son soutien à Téhéran. Mais pour Bagdad, les avions étaient iraniens. Le procès de Saddam Hussein s'ouvre le 19 octobre. S'il est interrogé sur ce crime, c'est la thèse qu'il défendra. Face à lui, en accusateur, il aura peut-être le petit homme qui vient d'entrer dans le bureau d'Abdullrahman Zibari, l'un des avocats mandaté par le tribunal spécial pour représenter les victimes de l'ancien régime (1).
«Tu as une pièce d'identité ?» demande l'avocat. Le Kurde est assis face à lui, dans un fauteuil de tissu brodé. Visage émacié, regard las. Il fouille sa poche, tend ses papiers. «Sabeh ?» «Sabeh Karim Letif», répond l'homme. «Le jour des bombardements, tu étais à Halabja ?» «Oui, c'était le 16 mars, à 11 h 10.» «C'était quelle année ?» «L'année ? 1988.» «1988», répète l'