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Libération
Critique

«Les Rapaces» retrouvés

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publié le 29 septembre 2005 à 3h29

Un petit juif viennois (fuyant l'antisémitisme qui régnait dans l'armée prussienne ?) se fait la malle avant guerre en direction du Nouveau Monde. Il s'invente de nobles origines européennes, se fait passer pour un ancien officier de l'armée impériale, garde son accent germanique et sa nuque rase, et de figurant cascadeur devient acteur et cinéaste de génie. Erich von Stroheim, qui régla son identité sur une fiction, voulait «filmer la vraie vie», dont il savait mieux qu'un autre sans doute de quelle accumulation d'impostures elle s'habille. Pour les Rapaces (1924), le souci de réalisme qui le fait tourner dans les rues de San Francisco et supplicier son équipe au fond de la vallée de la Mort, impose un style nouveau au théâtre de la cruauté. A la fois chronique sociale secouant ses puces expressionnistes pour donner une forme visuelle au naturalisme d'un Zola (ici, vie et misère des immigrants américains) et fresque titanesque sur la passion de l'or (Stroheim voyait dans l'idolâtrie de la richesse le monstrueux du rêve américain), les Rapaces est un monument du cinéma muet, mutilé et célèbre.

Stroheim avait eu besoin de sept heures pour pousser dans ses retranchements le mariage maudit de McTeague, brave dentiste tombé dans la déchéance, et de sa femme Trina, aussi belle qu'avaricieuse, l'association, également tragique, d'une servante mexicaine et d'un brocanteur juif, et celle de deux retraités qui s'épient pendant des années à travers le mur. A la MGM, son ennemi juré Irv