L'imposante figure de Dreyer éclipse nombre de réalisateurs nordiques des origines pourtant passionnants, comme l'également danois Benjamin Christensen, qui, à 30 ans, laissa tomber sa carrière de chanteur d'opéra pour se lancer dans le cinéma et devenir l'une des personnalités marquantes du muet. Sa réputation date de cet incroyable Häxan, la sorcellerie à travers les âges, tourné en 1921 chez le voisin suédois, opus ahurissant qui se revendique du documentaire, obéit aux lois du pamphlet et tartine son sujet d'une giclée d'images magnifiques. Essayant de cerner le concept d'enfer ou d'inventorier au ras de la marmite quelques recettes sataniques et philtres d'amour, le film se concentre sur le Moyen Age : mémés passées à de multiples tortures par des moines replets, nonnes hystériques voyant le diable partout, vols de sorcières sur des bancs d'église, reconstitution de rites obscurs aux surprenants éclats surréalistes... Outre une prolifique iconographie et une inspiration picturale déchaînée (Bosch, Cranach, Dürer...), le film, défendant l'idée que les cultes diaboliques et leur répression émanaient des besoins sexuels, se transforme en lupanar SM, avec un sens aigu de l'horreur et de la truculence (Christensen se spécialisa ensuite, aux Etats-Unis, dans le thriller gothique, et fut l'un des rares à rivaliser avec l'art du difforme tragique cher à Browning).
L'importance phénoménale du corps en ces temps religieux est copieusement restituée, ainsi que l'état de terreur et