La fiction inachevée du Polonais Andrzej Munk (il se tua en 1961 sur la route, en plein tournage du film) pose d'emblée la question du souvenir et de la fiabilité des témoignages qui sont au centre de l'évaluation historique de l'extermination nazie : sur un paquebot, des années après, une ancienne surveillante SS croit reconnaître l'une des prisonnières politiques qui étaient sous sa garde à Auschwitz ; elle livre à son mari une première version de sa relation avec cette femme, Martha, à laquelle elle s'était attachée et qu'elle essayait de protéger, puis une seconde, à elle-même, plus confuse mais également plus honnête, où les choses sont moins à son avantage (elle jouissait de son pouvoir et attendait de la reconnaissance de la part de la détenue, peut-être s'agissait-il d'un jeu qui la tenait en haleine). Quelle conscience eurent les bourreaux de leurs actes, pendant et après ? «La plupart, écrit Primo Levi, se fabriquent une réalité qui les arrange et à laquelle ils croient sincèrement.»
Munk invente un personnage complexe, ni fanatique ni indifférent, ni bête ni méchant, ni lucide ni aveuglé, qui cherche dans sa relation avec l'une de ses victimes le moyen d'échapper à sa responsabilité. Ici, l'irruption du romanesque (au sens de la présence d'enjeux affectifs, de récit et de suspense), dérisoire et déplacé dans une évocation de l'inhumanité de l'univers concentrationnaire, vient au contraire renforcer l'indicible et l'énormité du phénomène des camps de la mort : en ar