Gouaille, décors évanescents qui rétrécissent le monde aux mesures de l'individu, hommes efféminés, femmes coiffées à coups de raies dissymétriques qui leur déconstruisent le visage, qualité de tristesse qui n'exista que dans le cinéma français des années 30. De retour d'Hollywood où, bof, Jacques Feyder, avec ce drame sentimental sur fond d'évocation coloniale, ouvrait, dit-on, la voie au réalisme poétique (Marcel Carné est premier assistant sur le film), mélange ici d'inspiration Arts-Déco et de populisme attendri. Deux femmes se ressemblent bien que provenant d'horizons esthétiques différents : Florence, poule de luxe éclairée, pour qui un héritier fin de race (Pierre-Richard Willm, star de l'époque, aux yeux sensuellement tombants) commet des malversations, ce qui l'expédie au Maroc dans la Légion, il n'est jamais inutile pour un homme de sentir le sable chaud ; Irma, qu'il rencontre là-bas, prostituée aussi brune, commune et dévouée que l'autre était blonde, chic et sans amour. Néanmoins, des sosies. L'exilé projette-t-il sur chaque femme qu'il croise son passé ou bien est-ce la même ? A Marie Bell dans sa deuxième incarnation, Feyder prête une autre voix, grave et inquiétante, reprenant une idée qu'il avait échoué à appliquer à Garbo avant de quitter l'Amérique. Pour cela, il fait appel à la tessiture orale de Claude Marcy, qui double justement les films de la Divine. Cette pirouette auditive renforce l'onirisme fantomatique dans lequel s'étiole l'amoureux déraciné. La
Critique
Le Grand Jeu
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par Isabelle POTEL
publié le 26 octobre 2005 à 4h14
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