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Libération
Critique

Daisy Kenyon

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Cinécinéma Classic, 22 h 15.
publié le 16 décembre 2005 à 5h00

Tu vois que tu t'inquiétais pour rien, dit Caroline, monsieur Edouard a changé. C'est un autre, on ne le reconnaît plus. Il est calme, joyeux, a-t-elle ajouté. Je n'ai rien répondu, j'ai juste pensé qu'il était un peu exalté. Rien de grave, a dit Caroline comme si elle lisait dans mes pensées, ça lui passera. On était tous les deux devant le Classik, ce grand cinéma de banlieue qui fait dancing le week-end, on faisait la queue pour revoir Daisy Kenyon, ce Preminger que monsieur Edouard aimait tant. On se posait des questions. Sur le film, sur Preminger, sur les acteurs. Caroline n'était pas fan de Dana Andrews et elle ne supportait pas Joan Crawford ; moi, c'était la photo de Leon Shamroy qui ne me plaisait pas. David, mon petit-neveu, avait étudié le film avec Jacques Aumont, il en était fou. Si seulement monsieur Edouard avait été là, il nous aurait tous mis d'accord.

Dès qu'on prononce son nom, monsieur Edouard déboule au quart de tour. Comme toujours, il sait déjà de quoi on parle. A croire qu'il a des espions dans la maison. Je ne veux pas m'engueuler avec vous, dit calmement monsieur Edouard, vous savez que j'ai ça en horreur (non, on ne sait pas), mais vous n'y êtes pas. D'abord, vous oubliez un troisième personnage, le rival en amour de Dana Andrews, joué de manière très énigmatique par Henry Fonda. C'est vrai, dit-on tous les deux en même temps, on l'avait zappé. Non, répond monsieur Edouard, c'est lui-même qui passe son temps à se zapper, à s'auto-effacer du paysage