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Libération

La fenêtre

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publié le 13 février 2006 à 20h19

Les ouvriers sont quatre, tous habillés d'orange avec des casques rouges. Ils regardent l'engin découper la rue, aussi facilement qu'un morceau de carton au ciseau dentelé. Cela ressemble à un petit tracteur bleu, armé d'une scie chenillée. Il la plonge dans le bitume, la fait tourner et taille des lamelles de sol. La rue est étroite. L'engin est au milieu. A droite, à gauche, les voitures passent en frôlant les hommes. Un vieux car s'engage. Il a des rideaux roses aux fenêtres. Il monte sur le bitume éventré et continue son chemin. Nous sommes à Saint- Pétersbourg, accoudés à la fenêtre de Victor Kossakovski. Pendant un an, à travers sa croisée, le réalisateur russe a filmé cette portion de rue. Les deux trottoirs, le bas de l'immeuble en face, le petit square, les passants, le jour, la nuit. Il ne dit rien. Quelques notes de piano pour cinéma muet (1).

La rue est blessée. Eventrée par plaques. Un ouvrier traîne une petite barrière devant le trou, et s'en va. Sous le porche d'en face, un juif religieux. Il sort, chapeau noir, pouces passés dans sa ceinture. Il regarde devant, et s'en va sur la gauche. Un autre suit, et un troisième, chemise blanche jetée sur le pantalon. Le jour s'éteint. Sur une antenne de télévision, un corbeau craille. Trois chiens errants sont couchés au tout dernier soleil. Une pelleteuse creuse. C'est le lendemain. Un homme casse le bitume à la masse, les autres le regardent. Main dans le dos, un passant donne un conseil. Bruit de la pelle en fer qui c