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Libération

L'inévitable.

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publié le 2 mars 2006 à 20h30

Bob porte un tricot crème sur une chemise à carreaux, une cravate en soie rouge et or, un pantalon de velours côtelé et un gilet de laine bleue torsadée. Bob est anglais, il a 80 ans. Nous le voyons chez lui. Livres anciens, tapis, photo de sa femme dans un cadre de bois. Il termine en souriant un oeuf cuit à la coque. Nous le regardons offrir un peu de mie de pain à Corkie, son caniche blanc. Tout est calme. La caméra s'approche du gilet de Bob, le traverse, et nous emmène en lui. Dans son estomac, tuyauterie graisseuse. «Bob l'ignore, mais sa paroi stomacale est usée jusqu'à la corde, en proie aux attaques acides. Elles pourraient mettre sa vie en danger», dit le commentaire. Bercé par cette voix de documentaire animalier, ce petit film nous propose d'assister à la mort de Bob (1).

Brusquement, un filet de sang s'échappe de ses chairs internes. Un geyser, une échappée légère, comme l'encre de défense crachée par le poulpe. «Les acides digestifs ont percé sa paroi stomacale et atteint une artère. Du sang s'engouffre dans l'estomac.» La fuite est devenue fumée d'usine aux volutes lourdes. Bob a l'air inquiet. Il enserre son ventre dans ses bras. «Mais Bob ne ressent qu'un étourdissement et des aigreurs d'estomac.» Il se tourne vers son chien. «Je ne suis pas très bien, je vais m'allonger un peu.» Il s'étend sur le dos, met ses lunettes à montures dorées et ouvre un livre. «Bob ne souffre que très peu, mais son corps est trop fatigué pour faire face. Sa vieille artère obstruée