Les choses vues en matière d'usages du téléphone mobile et les portraits des téléphoneurs qui vont avec, on vous les a faits vingt fois, et, jusqu'à nouvelle révolution designeuse ou technologique, on avait résolu de n'y pas revenir. Jusqu'à cet impromptu de la semaine passée, ligne 11 du métropolitain où, sur un strapontin, une jeune femme nous découvrit, de son portable, une manipulation originale, et d'autant plus surprenante que, avant que l'engin ne la sonne, elle offrait la figure placide et sereine d'une lectrice innocente. (C'est les Cerfs-Volants de Kaboul qu'elle lisait, dont un numéro scotché sur la tranche identifiait l'ouvrage comme tiré une bibliothèque.) Donc, dans la presse bousculeuse d'une fin d'après-midi eratépienne, cette jeune femme détonnait, comme une statue de la paix sur un champ de bataille urbain. A son entour, on se phonait ferme, mais elle, impavide et entièrement dévouée à son vice impuni, était ailleurs. Quelque vibrato, hélas, interrompit son plonge dans le best-seller de Khaled Hosseini. Sans empocher son livre, elle dégaina l'autre indispensable objet, et c'en fut bien d'une autre…
De cet instant, la même, jusqu’alors allégorie du bonheur simple de lire que le brouhaha ambiant magnifiait, devint la plus bruyante et la plus agitée correspondante du wagon. Avec cette particularité que sans cesse, selon qu’elle était auditrice ou locutrice, elle déplaçait son appareil de son oreille à ses lèvres, donnant alors l’impression de le dévorer