1994-2024. Les portraits de der de «Libé» célèbrent leurs 30 ans au fil d’un calendrier de l’avent un peu spécial : 30 ans, 30 portraits. A cette occasion, nous vous proposons chaque jour de décembre, de rédécouvrir un de ces portraits (et ses coulisses), balayant ces trois décennies, année par année. Aujourd’hui, retour en mai 2013, face à celle que son «Non mais allo quoi» a propulsée sur le devant de la scène médiatique.
Un genre de consécration. Nabilla Benattia rebondit à l’intérieur d’un maelström sans fin. L’égérie des Anges de la télé-réalité, l’émission de NRJ 12, ne s’appartient plus. La Suissesse confine au phénomène de foire, surtout depuis la sortie de sa phrase culte. «Allo, non, mais allo quoi ! T’es une fille, t’as pas de shampooing, c’est comme si je dis “t’es une fille, t’as pas de cheveux”», s’est transformé en gimmick à la vitesse d’un clic. Elle a même déposé son «Allo…» comme une marque. Et Ikea, Oasis ou Dia ont déjà décliné l’expression dans leurs spots de pub.
Deux mois à repousser l’interview, à teaser le quart d’heure warholien pour qu’il s’étire. Elle finit par apparaître dans un resto classieux de Paris XVIe, au sortir d’un ascenseur venu de nulle part. Elle avance à pas de loup malgré des talons vertigineux qui accompagnent son mètre soixante-seize. Jupe noire au ras du bonheur et chevelure de jais en liberté. Elle s’anime pour la photo, soucieuse du moindre détail. Son ministre de la com se tient à portée de voix.
Les choses qui fâchent d’abord. Elle aurait fait un mois de taule pour escroquerie bancaire. Elle dément, droit dans les yeux, façon Cahuzac, le tropisme helvète sans doute. «J’étais mineure, entendue comme témoin dans cette affaire et j’ai été mise hors de cause. Tout va bien.» Jusqu’à ce jeudi, où un crachat sur un agent SNCF, gare de Lyon, lui vaut de replonger dans l’essoreuse à gossips.
Une fois le volet judiciaire éludé, elle lâche du lest. «C’est toujours mieux d’avoir une personnalité que d’être platonique.» Elle se marre, reprend : «Ça ne se dit pas ? C’est pas grave, j’ai essayé. De toute façon, il y a toujours des blagues sur moi, sur ma poitrine, mais je m’en tape. Rien ne m’atteint à part l’histoire avec mon père.» Elle n’a plus de nouvelles depuis le divorce de ses parents. Son père algérien, fonctionnaire à l’ONU, lui a demandé de choisir, quand elle avait 13 ans. «Avec un papa musulman, une maman chrétienne et une grand-mère juive, c’était compliqué. D’autant que les trois sont à fond dans leur truc. Le vendredi, mon père mange du couscous et il n’y a pas d’électricité chez ma grand-mère. Le dimanche, ma mère va à la messe», résume-t-elle. Croyante, elle n’a pas choisi son dieu, mais sa mère. Et se tient éloignée de son père. Dans une récente interview à Closer, à la véracité contestée, celui-ci aurait déclaré : «Ma fille me fait honte […]. Elle n’a pas inventé la poudre.»
La séparation des parents résonne aussi comme un nouveau départ pour Nabilla. «Si j’étais restée avec mon père, je ne sais pas où je serais aujourd’hui. En train de faire un tajine ou carrément mariée ?» Avec sa mère, italo-corse et assistante bancaire à Genève, elle assure faire amie-amie. Comme avec son frangin (16 ans), qui frime sur son compte twitter en tant que «frère de». Elle enchérit : «Avec mon père, c’était plus radical. Il n’aimait pas quand je me maquillais et tout. Il fallait que je m’habille avec des trucs assez larges.» Après son départ, elle décide de ranger le cartable parce qu’elle ne s’y retrouve pas «côté artistique». Un souvenir persiste : «J’allais à l’école juste pour les copines. J’en apprenais plus à la récré que pendant les cours. Surtout les combines…»
A cette période, elle se cherche, découvre les boîtes de nuit, de Genève à Lausanne, avant de s’inscrire dans une agence de mannequins. «Bien vite, on m’appelle pour un contrat de deux mois en Corée du Sud. J’ai à peine 15 ans mais ma mère me laisse partir. Là-bas, on est dans des grands appartements, et ça devient vite glauque. Il y a des filles de 20 ans qui ne mangent pas, un peu aigries, qui gobent des substances illicites. Ça m’a vite gavée», détaille-t-elle. Au retour, elle prend des cours d’anglais, sa manière à elle de voyager, et peaufine son retour chez les noctambules. Elle y rencontre celle qui reste sa meilleure amie, Jessica. Celle-ci raconte : «A Genève, Nabilla a vite fait parler car elle sait se faire remarquer. Cette fille ne laisse personne indifférent. Surtout pas les mauvaises langues.» Nabilla, qui a fait le ménage dans son entourage, confirme sa nouvelle vision des choses : «Tu ne peux pas rester avec des jalouses qui vont te tirer vers le bas alors que tu veux avancer. Il y a un proverbe qui dit: “Si tu veux garder tes amis, évite de les surpasser.”» Nabilla prétend ne pas être jalouse en amitié. Pour le reste, elle est moins sûre. «Je peux tuer quelqu’un, facile. En amour, faut pas me faire du mal.» Aucun cadavre n’a été retrouvé… La jeune femme n’a pas encore goûté aux affres d’une rupture douloureuse : «C’est moi qui fais du mal aux hommes. Je suis indécise, je n’ai que 21 ans et je commence à peine à comprendre comment fonctionne une relation.» Ce que Jessica traduit ainsi : «Elle a toujours eu les garçons qu’elle voulait, elle sait les faire craquer. Elle ne donne pas suite comme si elle n’avait pas de cœur. La fille de la télé, c’est la même qu’en vrai.» Sauf qu’en vrai, elle fraye avec Thomas, connu lors de l’enregistrement des Anges de la télé-réalité : «On a eu un coup de cœur. Même si je suis chiante et égoïste en ce moment, il comprend. De toute façon, c’est ça ou rien.»
Son destin bascule, il y a quatre ans, sur un coup de fil. Endemol lui propose un rôle dans L’amour est aveugle, un show télé où les protagonistes se tripotent dans le noir. Elle a 17 ans à peine et fait croire à la production qu’elle est majeure. Ça arrange tout le monde. Aujourd’hui, au-delà de la télé-réalité, les portes de la publicité lui sont ouvertes mais elle rêve d’enfoncer celles du septième art. «Avant, je kiffais les rappeurs mais avec l’évolution (sic), je préfère les acteurs.» En ce moment, dans ses écouteurs, le J’me tire de Maître Gims est en mode repeat. Une ode à la fuite et à la misanthropie. «Parfois, j’aimerais être tranquille, faire ce que je veux, courir à poil dans la rue, sans que les gens disent : “Regarde, c’est Nabilla, j’te jure, c’est elle !”» Elle mène pourtant la vie dont elle a rêvée et n’en fait qu’à sa tête, comme toujours.
Elle n’a que 18 ans quand elle se fait refaire les seins : «Mon corps ne correspondait pas à ma personnalité. Je m’étais toujours imaginée avec une grosse poitrine. Plus jeune, je n’avais pas grand-chose à revendiquer contrairement à mes copines.» Des filles sorties de l’anonymat du jour au lendemain, ça rappelle forcément quelque chose. Poitrines remixées et prénoms qui s’achèvent en A… Loana, Zahia. Le dernier avatar de la série décline pourtant l’analogie : «Je ne veux pas faire un buzz et disparaître.» En attendant les retombées du «Allo…», elle arrondit ses fins de mois en monnayant sa présence dans les boîtes de nuit. «Les chanteurs font bien des concerts et les comiques, des spectacles. Je pensais que mon physique était mon attrait numéro 1 mais ma personnalité a pris le dessus.» Avant de s’éclipser, son ancien atout majeur revient en première ligne. Elle se retourne une dernière fois et balance presque irréelle : «Eh, t’as vu que Jean-Marie Le Pen a dit que j’avais trop des beaux seins. Franchement, il est trop marrant ce mec !»
Nabilla Benattia en 5 dates. 1992 Naissance à Annemasse (Haute-Savoie). Avril 2005 Ses parents divorcent. Elle s’installe à Genève avec sa mère. 2009 L’amour est aveugle (TF1). Mars 2013 Les Anges de la télé-réalité (NRJ 12). 11 mars 2013 Dépôt à l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi) de la phrase culte.
Making-of: «comme sortie d'un dessin animé»
«Le vide sidéral, la vulgarité, le culte de la bêtise et de l’inculture. Lui donner cette place est pathétique»; «triste époque»; «indigne»… C’est peu dire que la parution du portrait de Nabilla, starlette de télé-réalité, en dernière page de «Libé», avait fait couler beaucoup d’encre en 2013, comme en attestent ces quelques commentaires courroucés sous la publication Facebook de l’époque. Pourtant, Nabilla raconte quelque chose de son époque, comme Loana avant elle. D’ailleurs, la gagnante de «Loft Story» a par deux fois elle aussi occupé la dernière page, en 2001 et 2012. «Même en interne, ça avait fait jaser», se souvient le journaliste Rachid Laïreche. De tous les portraits qu’il avait écrits jusque-là, aucun n’avait jamais suscité pareil tsunami sur les réseaux sociaux, et autant de reprises dans les médias. «A l’époque, la presse parlait beaucoup de Nabilla, mais elle, elle ne parlait pas ou très peu», se remémore-t-il. C’est sans doute ce qui l’a intrigué et conduit à persévérer près d’un mois durant pour organiser cette rencontre, outre une forme de curiosité personnelle pour la télé-réalité. Il en garde le souvenir d’une jeune femme qui «semblait irréelle, comme sortie d’un dessin animé», évoquant sa plastique, notamment sa poitrine, «naturellement», et «multipliant les punchlines». Il la reverra pour un nouveau portrait huit ans plus tard, à l’occasion de la sortie d’un documentaire sur le parcours de cette presque trentenaire devenue femme d’affaires.