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Libération
Interview

«Acheter le "Washington Post", c’est acheter du pouvoir économique, politique et sociétal»

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Pour la spécialiste des médias Françoise Benhamou, la démarche de Bezos n’est «pas surprenante» :
publié le 6 août 2013 à 21h16

Françoise Benhamou est professeure à l’université Paris-XIII, spécialiste de l’économie de la culture et des médias.

Pourquoi Jeff Bezos a-t-il acheté le Washington Post selon vous ?

Acheter un titre emblématique et historique de la presse américaine, c’est acheter du pouvoir économique - même si l’affaire a peu de chance d’être rentable à court terme -, du pouvoir politique et du pouvoir sociétal.

N’est-il pas anachronique qu’un tycoon de l’économie numérique investisse ses fonds propres dans une entreprise de la vieille économie, à savoir la presse papier, que l’on dit agonisante ?

Il y a une proximité évidente entre les différentes formes d’écrit - la presse, la revue, le livre - qui a sans doute intéressé Jeff Bezos. Le numérique opère un continuum entre ces supports, et Amazon occupe une position dominante sur le livre papier et sur le livre numérique. Que Bezos regarde du côté de la presse ne me semble pas surprenant. On n’est pas seulement dans la vieille économie, on est dans l’invention de nouveaux modèles.

Cette opération est-elle purement philanthropique ?

A mon sens, non. Parce que le prix de 250 millions de dollars (188 millions d'euros) est faible. On ne peut que rapprocher cette opération de la vente à prix cassé du Boston Globe par le New York Times [confirmée samedi, ndlr]. La valorisation de la presse écrite s'est effondrée, et il y a donc des affaires à tenter pour celui qui peut se le permettre. J'ajouterai que Bezos est susceptible de combiner innovations de contenus et de modèle économique, et dispose de la fortune suffisante pour patienter et tâtonner dans la recherche d'un modèle soutenable, si ce n'est rentable. Le pari est de faire évoluer le titre sans dévaluer la marque, ce qui ne va pas de soi.

Difficile, avec ce rachat, de ne pas faire de parallèle avec l’entrée de Xavier Niel, le patron de Free, dans le capital du Monde…

J’imagine que cette analogie ne déplair