André Malraux n'a pas fait que piller des tombes et abuser de l'opium, il a aussi écrit deux-trois trucs sensibles, avec une manière bien à lui de ramasser en formules simples des idées fortes. Ainsi saluait-il, en 1964, l'empire du cinéma sur la civilisation (1) : «L'humanité tout entière est investie par d'immenses puissances de fictions, et ces puissances de fictions sont aussi des puissances d'argent et des puissances politiques.» Cinquante ans plus tard, on a du mal à trouver meilleur condensé du sentiment que nous donne, en cette rentrée 2013, l'état des choses objectif et subjectif de l'industrie du jeu vidéo. Reprenons.
La fiction, d'abord. Cette industrie, on commence à le savoir, dépasse largement celle du cinéma en termes comptables. Mais si l'humanité consacre plus de temps et d'argent au jeu qu'au film, la place symbolique et médiatique du cinéma, son prestige culturel, restent dominants. Deux facteurs sont souvent avancés pour expliquer cette asymétrie : les acteurs (ou l'interprétation, ou l'identification) et la fiction, dont le cinéma reste une matrice incomparable. C'est précisément les deux champs qualitatifs sur lesquels le jeu vidéo fait actuellement les plus grands progrès. L'estival The Last of Us (chef de file d'un renouveau du grand récit classique), l'imminent GTA V (architecte d'une nouvelle articulation entre la narra