Homme de l'ombre, Mazarin, âme damnée, éminence grise, tous les clichés qualifiant Pierre Bergé sont exagérés et vrais. Et ce qui est encore plus certain c'est que, depuis sa rencontre amoureuse avec Yves Saint Laurent, à la fin des années 50, il a toujours mis son étonnant sens des affaires au service de sa passion pour son amant génial. Certes, ce n'est pas lui qui créa le style Saint Laurent, mais c'est incontestablement grâce à lui que ce style est devenu une marque.
Pour tenter de cerner le protéiforme Pierre Bergé, il suffisait de l'observer en grand ordonnateur des présentations de Couture Saint Laurent dans les salons de l'hôtel Intercontinental. Un monstre d'ubiquité, capable d'une main d'accueillir les invitées vedettes (inter pellées par leur prénom, «You-ou, Catherine, Zizi, Hélène...»), de l'autre de chasser la horde des photographes et, d'une troisième main (le bras armé de celui qui veille au grain?), de téléguider le maître sur le podium pour le salut final. Tout à fait capable aussi, métamorphosé en une sorte de Louis de Funès de la mode, de régler la circulation rue de Rivoli pour laisser passer un car Paris Vision bourré de top models maison. Et lorsque, à la fin des années 80, il organisa une mini-rétrospective Saint Laurent sur la scène de la Fête de l'Huma, il ne manqua pas l'occasion de propager une de ses fameuses petites phrases tout en fracas. Assis back-stage les pieds dans la gadoue, il déclarait en présence d'un comité central médusé: «En venant i