Gracieuse échasse blanche à tête de Pocahontas, Emmanuelle Alt parcourt à foulées aériennes la moquette velue du Vogue Paris, en face de l'Elysée. Elle règne sur une table de verre noire absolument rase exceptée une bougie soja-quinoa tellement chic qu'elle ne sent rien et un Macbook aussi désincarné qu'une tranche de jambon maigre. Pointant la une du Vogue d'été, elle dit qu'à Vogue, son but est que la lectrice se dise «je veux ressembler à ça». C'est pas gagné, car «ça» c'est Isabeli Fontana, style capillaire et décolleté Sophia Loren : l'incarnation rêvée du stimulus déclencheur. Avant Isabeli, il y a eu en couverture Gisele Bündchen et Kate Moss. Que du lourd. Fabriquer du désir, tel est le métier d'Alt : «Le désir d'aller se faire couper les cheveux comme Isabeli, d'acheter un sac, un livre. On doit mâcher le travail à la lectrice.» En clair, Vogue est un magazine de consolation qui instrumentalise les frustrations. Pour se réconforter de ne pas être calibrée en bombe Pirelli comme Isabeli, acheter son mascara LVMH 360 noir…
Quand on évoque les tentacules des annonceurs, devenus kaisers de la presse de mode au point d'exiger le scalp de certain(e), Alt hoche la tête, trop intelligente pour mentir. «Mon cahier des charges n'est pas une contrainte. Je peux montrer la femme que je veux, mais je dois, c'est vrai, respecter les marques.» Son patron, Xavier Romatet, le président du groupe Condé Nast France