C’était un acteur populaire, dans tous les sens du terme: il venait du peuple, il y était resté, et les gens l’aimaient pour la même raison qu’ils aimaient les autres acteurs populaires: parce qu’il ne faisait pas semblant. Dans les films comme dans la vie. Quand il entamait un décompte, il ne commençait pas par le pouce mais par le petit doigt. Premièrement auriculaire, deuxièmement annulaire… Mais on n’atteindrait jamais le majeur: quand Tahar parlait de Rahim, sa phrase se faisait parcimonieuse et ses litanies s’estompaient.
Il gardait toutefois ce regard appuyé que je connaissais par cœur, c’était celui que rivaient sur moi mes tontons et mes grands cousins quand ils voulaient me convaincre et se convaincre eux-mêmes par la même occasion. Il était comme eux: chaleureux, impulsif, angoissé, séducteur, «premier degré» disent les cyniques; comme mes cousins, oui, mais d’une certaine façon seulement.
A 31 ans, Tahar-aux-deux-Césars n'avait déjà plus rien à prouver. D'importants réalisateurs internationaux travaillaient avec lui. Il était courtisé, respecté. Cette année-là, il avait illuminé Cannes. Grand Central de Rebecca Zlotowski. Le Passé d'Asghar Farhadi, pressenti jusqu'au dernier moment pour décrocher la Palme d'or. On avait vu Tahar danser sous une boule à facettes au « Petit Journal », entraînant Léa Seydoux dans un déferlement de coolitude décomplexée et souriante, sans préméditation ni calculs.
Il avait remis ça à la rentrée, sur le plateau d’Antoin