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Mode

L’hologramme Hedi Slimane

Hedi Slimane en 2012. (PHOTO Martin Bureau. AFP)
publié le 14 août 2015 à 19h36

Alors que la maison Saint Laurent vient d'annoncer son retour à la haute couture, treize ans après la dernière collection conçue par Yves Saint Laurent lui-même, coup de tonnerre : Hedi Slimane, en charge de la création depuis 2012, a accordé une longue interview à Yahoo, publiée jeudi 12 août par le site. Elle a fait l'effet d'un scoop. Car Hedi Slimane, c'est notoire, est l'antithèse médiatique du kaiser de la punchline Karl L. : au-delà du discret, le héraut de l'androgynie rock cultive non seulement un silence quasi complet, mais aussi une quasi-invisibilité, jusqu'à s'affranchir du rite du salut postdéfilé.

L'interview décrochée par Yahoo est en outre longue, attestant une loquacité inespérée. Slimane y aborde des thèmes parfois personnels, telle son enfance de petit garçon moqué car fluet, aux blousons toujours trop grands (il vaut mieux être - très - mince et pas baraqué pour porter du Slimane), ou sa vie à Los Angeles où le Parisien de souche a délocalisé son studio de création. Mais que l'on ne s'y trompe pas. Hedi Slimane, le plus control freak des créateurs de mode et farouche assumé, garde toute sa distance - de sécurité.

L'entretien conduit par Dirk Standen, grosse pointure de la mode passée par W et Style.com, qui précise sur son compte Twitter avoir mis trois ans à l'obtenir, s'est déroulé par mail, et on suppute que les allers-retours et relectures ont été nombreux. On apprend des choses, par exemple que les pièces haute couture Yves Saint Laurent seront réservées à un cercle encore plus restreint que celui du happy few argenté : il s'agira principalement d'artistes ou «de personnes que nous connaissons», indique Slimane : «L'intimité semble être le seul luxe, de nos jours.»

La façon ultradétaillée dont il décrit sa stratégie de repositionnement de la marque Saint Laurent permet en creux d'échafauder ou de compléter un portrait où se mêlent hypersensibilité/susceptibilité, hyperimplication et hypercertitude face à la critique, sachant que «l'absence de réaction signifie que tout le monde s'en fiche. Et si tout le monde s'en fiche, c'est là que nous avons un problème ».

Au bout de l'interview-fleuve, Hedi Slimane, que le concept de «contemporain» a cessé d'intéresser depuis 2007 au profit du «postcontemporain», demeure pourtant insaisissable. Ici mais ailleurs en écho à sa position géographique, de sortie mais à l'abri dans sa bulle, de même qu'enfant il s'était créé son petit monde d'outsider, passionné par le rock puis la photographie. Hedi Slimane a aujourd'hui 47 ans et maîtrise désormais totalement l'art de se protéger. Il nous est une apparition, un hologramme.