Être une femme libérée
L'Américain Rick Owens, as du show, a fourni l'image la plus spectaculaire : des femmes qui se portaient les unes les autres, harnachées d'humanité en quelque sorte. Son vestiaire faisait écho, raffiné mais épuré : manteaux fluides, robes taillées en biais qui permettent la grande enjambée. On retrouve ce côté terrien chez Céline, où Phoebe Philo décline d'amples pantalons ou jupes, de majestueuses robes à grandes manches ballon et à taille haute hyperserrée qu'on retrouve aussi sur des manteaux. Des éclats de dentelle et des surpiqûres égaient la palette blanc, noir, gris, bronze, chair. La «force» d'une silhouette tient à un mélange d'éléments rudes avec d'autres plus tendres. C'est le talent de Julien Dossena chez Paco Rabanne que d'habiller les filles de bustiers de cuir noir, avec des robes finement ouvragées. Une parka (très je-suis-en-after-à-Sarajevo) se porte avec une combinaison harnachée. Même esprit de puissance chez Acne, où le Suédois Jonny Johansson s'inspire de l'univers du rock : le tailoring des vestes ou pantalons se retrouve «grungisé» par des tricots abîmés.
Délicate et saine
Chez Balenciaga, on se prenait parfois à douter : les filles étaient-elles en lingerie ? De la dentelle et des volants décoraient des caracos en satin ou en soie, dans une collection 100 % ivoire. Dries Van Noten avait aussi choisi l'option sous-vêtements, mais de manière plus franche. Des brassières fuchsia, noir ou à paillettes apparaissaient sous une mousseline transparente, ou un manteau ouvert. Chez Lanvin, l'ambiance était aussi aux rubans et fils au vent, pour montrer la couture en mouvement, dixit Alber Elbaz. Chez Dior, le Belge Raf Simons faisait, non pas de la lingerie, mais une sorte de variation autour de l'habit basique. Alors, ses shorts tout simples, quasiment transparents, ses courtes combinaisons blanches, comme sortis d'un tableau préraphaélique, tout cela donnait l'image d'une féminité délicate. Le cérebral Simons n'est pas Lise Charmel et ne fait pas dans le «réel», mais dans un fantasme (non érotique) d'une féminité ouvragée et complexe. Chez Chloé, la sensualité prend un tour boyish et flashy (chouettes survêtements), avant virage néohippie avec longues robes ou jupes à fleurs.
À l’aise Blaise
Peu ou pas de talons cette saison, même chez ceux qui privilégient toujours des silhouettes élégantes ou de femmes fatales : des ballerines chez Lanvin, beaucoup de baskets chez Hermès, et carrément des pantoufles chez Balenciaga, pour la dernière collection d'Alexander Wang, qu'on n'a jamais vu aussi décontracté. Kenzo ose pour sa part des spartiates-cuissardes à losanges découpés, pour un vestiaire pop pimpant sous influence méditerranéenne (Maroc, Italie). Le confort passe aussi par le travail des matières. Chez Hermès, pour sa deuxième collection, Nadège Vanhee-Cybulski a développé des tissus double face en soie ou cachemire, aussi agréable recto que verso, du twill de coton déperlant ou du cuir si souple qu'il se porte en robe, à même la peau. Une délicatesse racée imprègne aussi le travail de Bouchra Jarrar, avec ses longs manteaux fluides d'esprit militaire, ses robes à peines drapées. En version plus bohème, Haider Ackermann épate en parant ses néopunks de safran, anis, kaki, crème, parme, rose… Aux pieds, de sublimes santiags pour affronter en majesté le western urbain.
Tout ce qui brille
Ambiance sirène de compet chez Maison Margiela, où John Galliano s'est donné sur le lamé, l'argenté, le brillant. Les vêtements reflètent les fonds marins, à coup de tissu si fluide qu'on le croirait liquide, de pierres brodées sur une robe, de matières luisantes dont l'éclat est atténué par un voile ou d'un film transparent enroulé autour du bras ou de la jambe. Lanvin a aussi célébré l'ultraféminité via une explosion de paillettes brodées à la main sur des robes qui s'arrêtent au genou. Chez Saint Laurent, les filles portent carrément des diadèmes. Mais les princesses de Hedi Slimane relèvent d'un gotha qui ferait tousser Stéphane Bern : leurs minirobes ou longues nuisettes laissent entrevoir les seins, voire tout quand transparentes, et la jambe interminable est à la fête (en botte de pluie tout terrain). Karl Lagerfeld, lui, s'amuse avec le gris métallisé, en gants, en sacs, en ceintures, en sandales à gros talon carré, ça complète l'entreprise de revitalisation des codes Chanel, cette fois en mode avion, tendance Pan Am.
Têtes brûlées
Le créateur japonais Kunihiko Morinaga, chez Anrealage, avait fait une entrée remarquée à Paris l'an passé avec des vêtements dont la couleur changeait sous l'effet de la chaleur ; cette saison, les tissus se révélaient phosphorescents sous la lumière d'un flash. Iris Van Herpen confirme, elle, sa maestria de sculpteuse qui malaxe la matière. Sa spécialité : la découpe au laser, qui donne des robes fascinantes, comme faites en papier-bulle de cristal, ou en toile d'araignée, ou en filet de commission. C'est au Président, restaurant chinois de Belleville, que Vêtements a envoyé des filles très énervées dans des tenues rafistolées. Sur fond de heavy metal, elles portaient manteaux explosés, tops orange ou anis avec des logos gothiques, tabliers de boucher. C'est d'une énergie de malade et ça colle parfaitement à la rage du moment. Mercredi, le groupe Kering annonçait la nomination du fondateur de Vêtements, Demna Gvasalia, à la direction artistique de Balenciaga. Qui a dit que les têtes brûlées étaient condamnées à la confidentialité ?