La rupture entre Hedi Slimane et Saint Laurent aurait été négociée et finalisée il y a un an, après de longues tractations au sein du pôle luxe du groupe Kering dont la maison est l’un des fleurons. En quatre années passée à la tête de la création de Saint Laurent, Hedi Slimane est parvenu a faire passer le chiffre d’affaires de la marque de 353 millions d’euros (avant son arrivée en 2011) à 974 millions d’euros l’an dernier (soit près de trois fois plus). Pour parvenir à cette progression fulgurante, il a misé sur le prêt-à-porter (un quart du chiffre d’affaires), quand les maisons de couture se reposent généralement sur la maroquinerie et les accessoires pour gagner des parts de marché.
Contentieux. Si Slimane quitte la tête de Saint Laurent auréolé de succès, ce n'est pas pour prendre immédiatement la tête d'une autre maison (il devrait se consacrer à ses autres passions : la musique et la photographie). Ce qui l'aurait d'abord poussé à mettre fin à sa collaboration, c'est un contentieux avec Yves Saint Laurent Beauté, filiale de L'Oréal qui détient le contrat de licence des cosmétiques et des parfums Saint Laurent. A son arrivée au sein du groupe français Kering, alors PPR, dirigé par François-Henri Pinault, Hedi Slimane pensait avoir la mainmise sur l'ensemble de la direction artistique des produits estampillés Saint Laurent, parfums compris. Mais ce fut loin d'être le cas. Slimane, aussi intransigeant qu'il est sur l'image (variations autour du rock, androgynie de rigueur, noir et blanc systématique), n'a jamais pu imposer sa ligne sur les campagnes publicitaires des parfums et n'aurait supporté de voir à quel point celles diligentées par Yves Saint Laurent Beauté ne collaient en rien à ce qu'il développait chez Saint Laurent Paris.
L’autre point de discorde concernerait Gucci, le navire amiral du pôle luxe de Kering (la marque italienne représente 50 % de ce pôle, Saint Laurent 12 %) au chiffre d’affaires colossal de 3, 9 milliards d’euros en 2015. Après des années compliquées, l’arrivée d’Alessandro Michele à la tête de la création de la griffe italienne en janvier 2015 devait relancer les affaires de l’enseigne. Mais celle-ci a pris, dès le départ, des allures de rivalité. Non pas que Slimane se sente ébranlé par le talent d’un autre. Mais Alessandro Michele a, dès son entrée en scène, rendu un hommage un peu trop vibrant à son camarade en accolant des allures plus rock et des profils androgynes à ses mannequins, deux des axes majeurs de la «vision Slimane».
Outrecuidance. Le Français aurait vu là une outrecuidance intolérable, et se serait offusqué de ses emprunts. Mais, depuis l'arrivée de l'Italien barbu au look folk, les ventes de Gucci se sont légèrement améliorées. Les critiques se sont faites plus positives (et ont même parfois mentionné les points communs entre les collections des deux maisons). La reprise en main de Gucci, tant attendue, semble enfin entamée, douze ans après le départ de Tom Ford, l'homme providentiel qui fit muter la maison de maroquinerie en griffe de prêt-à-porter de luxe sexy en diable.
Si le départ de Slimane ressemble à un coup dur au vu de ses bons résultats (le cours de l’action Kering avait chuté de 2,5 % vendredi à 14 heures après l’annonce de la fin de sa collaboration), Kering aurait d’ores et déjà trouvé un styliste pour le remplacer. Mais tout ceci ne concerne plus Slimane, qui va retrouver sa liberté en attendant de revenir par la grande porte, dans une maison où il aura enfin le contrôle total. Vendredi matin, le porte-parole du groupe Kering a démenti l’ensemble de nos informations.