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Libération
Fashion week

Mode : un homme plein de promesses

Les défilés parisiens qui commencent ce mardi à Paris devraient confirmer l’effervescence du vestiaire masculin. Focus sur six outsiders en vue.
(Botter)
publié le 13 janvier 2020 à 20h11

On vous l’accorde, Fashion Week rime avec litanie. Le prêt-à-porter masculin (automne-hiver) puis la haute couture (printemps-été) en janvier, le prêt-à-porter féminin (automne-hiver) fin février ; le prêt-à-porter masculin (printemps-été) en juin, la haute couture (automne-hiver) en juillet, le prêt-à-porter féminin (printemps-été) en septembre… Et encore, on ne parle là que des salves parisiennes alors que New York, Londres et Milan sont autant d’étapes importantes de la caravane fashion.

L’erreur serait de prendre ce calendrier aux airs de jour de la marmotte comme un éventail qui distillerait systématiquement autant de tendances décisives. C’est clairement possible, on peut déjà s’interroger sur la seule capacité des designers à pouvoir fournir autant de collections, sachant que bon nombre d’entre eux sont ambidextres (travaillent versants homme comme femme) et que les grosses marques fournissent également des précollections, collections croisière, etc. Une préparation au burn-out devrait figurer dans la formation du créateur de mode 2.0., ce Sisyphe du glamour.

Il faut voir la Fashion Week comme une variante du festival de cinéma : si elle permet un état des lieux stylistique et esthétique, elle est surtout l'occasion de prendre la température du secteur versant business (les acheteurs, ou buyers, sont d'ailleurs aussi attendus, sinon plus que les journalistes), dans un pays qui reste le numéro 1 mondial de la mode et du luxe. A ce titre, celle qui s'ouvre à Paris ce mardi par les défilés homme s'annonce prolifique. Car le marché du vêtement masculin, porté par une demande toujours plus variée, car affranchie des codes (cf. le reflux du costume et l'envol de l'athleisure), stimule imaginations et investissements.

Jusqu'à dimanche, 53 défilés vont scander le calendrier officiel - qui pourrait bien être un poil contrarié par les grèves dans les transports, on voit d'ici les embouteillages de berlines noires et les regards excédés des marathoniens du chiffon à peine atterris de Milan. Comme il n'y a pas que Dior, Hermès, Vuitton ou Off-White dans la vie, Libé zoome sur six marques en pleine ascension.

Phipps, l’appel de la forêt

Californien de San Francisco, amateur d'air pur et de grands espaces, Spencer Phipps produit une mode écoresponsable, où la nature a une place majeure. Son prochain défilé s'intitule «Treehugger, Tales of the Forest» («écolo, contes de la forêt»). Les invitations au show ont été envoyées sous la forme de carton vidéo (le papier c'est ringard). Phipps veut faire ici une «ode à la forêt», toujours «auréolée de mystère», ambivalente puisqu'on l'assimile à la fois à «un refuge» et à «un territoire dangereux».

Le créateur américain qui défile à Paris présentait lors de son dernier show (printemps-été 2020) des pièces en collaboration avec Millet (la marque a le vent en poupe), que les montagnards connaissent bien. Il avait alors plongé dans les stocks de l’enseigne française pour développer sa mode très branchée outdoor. Sa nouvelle collection devrait creuser encore ce sillon fait de vêtements fonctionnels non dénués d’excentricité, avec les références qu’aime distiller le styliste : new age, western, randonnées pour hipsters en prise avec l’écologie, pour qui s’habiller doit s’accompagner d’une conscience responsable.

Phipps

Ludovic de Saint Sernin, l’audace sexy

Ludovic de Saint Sernin, Français de 28 ans, ancien de chez Balmain où il a assisté Olivier Rousteing au prêt-à-porter femme, s'intéresse au corps masculin pour en faire, selon ses critères, un objet de désir. «Mes collections sont très autobiographiques. La première était inspirée de mon coming out, des œuvres de Robert Mapplethorpe et du livre Just Kids de Patti Smith. Chaque saison, il y a pas mal d'intime et de choses perso», explique le styliste. Sa dernière campagne, photographiée par Willy Vanderperre, affiche des corps à la peau moite, suite logique de la collection qu'il a présentée en juin et qui reposait sur une garde-robe toute en transparences, présentée sur des corps trempés et des modèles comme sortis de l'eau. Ce qui a fait notamment connaître Saint Sernin, et qui est devenu un phénomène, c'est un slip lacé sur le bas-ventre dont il multiplie les formes, du ficelle cristallisé (Swarovski) au tricoté à double bourse. Sa nouvelle collection devrait encore explorer cette sensualité exacerbée qu'il a développée jusque-là.

Ludovic de Saint-Sernin

Botter, métissage poétique

Encore confidentielle pour le grand public, cette marque devrait pourtant faire rangs combles pour son premier défilé dans le calendrier officiel parisien. Car Botter, c'est le Grand Prix du festival de Hyères en 2018 et, dans la foulée, une nomination inattendue mais depuis applaudie à la direction artistique de Nina Ricci. Botter, c'est un couple-duo néerlandais trentenaire : Rushemy Botter et Lisi Herrebrugh ont fondé leur label de mode masculine en 2016, après formation à l'académie d'Anvers pour lui et sur le tas pour elle. Une géographie personnelle doublement commune les réunit, leurs villages d'origine tout proches et les Caraïbes où tous deux ont leurs racines familiales et retournent régulièrement. Cette mixité irrigue leur vestiaire masculin empreint d'une indolence poétisante, mix de swag streetwear et d'élégance à l'ancienne, d'exotisme et de précision architecturale typique de la pépinière belge. Et l'affaire est vertueuse : Botter (désormais conçu à Paris) donne la priorité à l'upcycling, le recyclage des matières pour une production haut de gamme.

Hed Mayner, douce armure

Hed Mayner défile chez l'homme mais ses collections ont une tonalité unisexe. La tendance est généralisée, beaucoup de créateurs refusant de s'enfermer dans un genre. Les femmes ont toujours aimé porter des pièces masculines, et l'inverse est de plus en plus vrai. Chez le trentenaire, né dans le nord d'Israël, la mode voyage donc entre les deux sexes. L'archiviste de la mode, collectionneuse et vendeuse de pièces vintage Anouschka soutient le jeune homme dans l'ombre. Elle apprécie ce va-et-vient poétique et «protecteur» qui ne laisse personne sur le bord de la route. «Je le porte et je n'ai pas l'air d'une fille qui se déguise en garçon parce que c'est assez féminin dans les volumes», dit-elle. Diplômé de l'Institut français de la mode, Hed Mayner travaille entre la France et Israël. A Paris, où il défile depuis quelques années, il a récemment reçu le prix Karl-Lagerfeld (150 000 euros de dotation), dans le cadre du prix LVMH. Le garçon doux et déterminé redessine des formes a priori classiques, amplifie les volumes et fuit ce qui peut sembler artificiel, jusque dans les couleurs qu'il emploie, proches des éléments naturels.

Shoji Fujii. Hed Layner

Craig Green, conceptuel sensible

Qu'est-ce qui sépare la production, basique, de la création, artistique ? L'intention et l'écho. Quand le produit dépasse la seule efficacité pour devenir un beau geste, d'une portée et d'une puissance qui parlent à tous, au-delà des grilles de lecture de chacun. Le designer britannique Craig Green, 33 ans, est un as ès beaux gestes, annoncé depuis quelques saisons déjà comme le nouveau wonder boy de la mode, avec palanquée de prix à l'appui. Son approche du vestiaire masculin est cérébrale, conceptuelle, ultratechnique, mais produit une émotion qui fait s'embuer les yeux notoirement blasés des suiveurs de Fashion Week.

Green, qui a fondé sa marque en 2012, aborde le streetwear en sculpteur, travaille la matière pour en faire un cocon qui peut être spectaculaire (ses doudounes mi-camisoles mi-armures conçues pour Moncler) comme délicat, aérien. Un lyrisme contenu anoblit le côté utilitaire ou patrimonial du vêtement - Green est passionné par l’uniforme. Indubitablement, l’entrée en lice du Londonien (anti-Brexit) dans le calendrier parisien est une belle prise de guerre pour l’Hexagone.

Craig Green

Casablanca, kitsch cool

Le concept d'«après-sport» tient-il la route ? C'est ce qu'on va voir avec l'entrée en lice de Casablanca dans le calendrier officiel, après des prestations remarquées dans le «off». Cette marque parisienne apparue en 2018 est médiatiquement déjà bien lancée, bébé de Charaf Tajer, flamboyant couteau suisse franco-marocain qui a déjà à son actif des succès, comme le label de mode masculine Pigalle (cofondé avec Stéphane Ashpool, tête de pont du collectif Pain O Chokolat), les bars - aujourd'hui fermés - le Pompon (dans le Xarrondissement parisien où il a grandi) et le Jackets (dans le Marais), avec réseau et carnet d'adresses rutilant à la clé. Tous les noms de la «hype», en gros. Mais au-delà du buzz, il y a de quoi s'y attarder. L'«après-sport» selon Tajer, c'est une douce exubérance empreinte d'orientalisme, un kitsch raffiné : couleurs à foison, dont des pastels a priori «féminins», belles chemises en soie à motifs nuages, palmiers ou lune, polos et joggings en éponge à échos rétros, chics ensembles pyjamas en soie, chouettes costumes de mafieux… Aisance et second degré exigés.

Casablanca