Vendredi place de la Concorde, tout le monde se pressait au défilé Dior Homme, dans un gros cube blanc placé juste en face de l'obélisque – côté Tuileries. Et pour cause: le Britannique Kim Jones, dont les options font école, est clairement le boss du moment. Cette fois, c'est une invitation à l'empowerment qu'il a délivrée, via un hommage au styliste et créateur de bijoux Judy Blame, figure punk disparue en 2018. Les beaux garçons de Jones prennent leurs responsabilités et le pouvoir en affirmant ceci : je mixe comme je veux, vestiaire de jour et de soirée, les codes (masculins et féminins), les états d'esprit (cool, chic, street, romantique…), les époques (aujourd'hui et la Renaissance, par exemple).
Résultat : des jeunes gens ultrachics, en costumes mais pas salary men pour un sou, qui télescopent des bombers avec des colliers ou pince de cravate en perles, de longs gants de velours irisé, des robes chemises portées sur des pantalons. Un manteau arbore un énorme nœud en satin à la poitrine, les écharpes-bijoux abondent, de même que de grandes broderies et beaucoup de brillance, comme pour le sublime manteau final qui paraît sorti d'une pluie argentée.
Ces hommes-là ne renoncent pas à la masculinité, ils disent juste non à la sempiternelle virilité, et ils le font en toute confiance, sûrs de leur charme… et de la qualité de ce qu’ils portent : ce vestiaire au Pantone très de saison (gris, brun, bleu marine, noir) exsude la maîtrise alliée au luxe, à l’opulence, les matières (cuirs, lainages) sont à tomber. Grâce à l’intention (l’affranchissement) et la précision du geste, le vestiaire ne vire pas au bourgeois empesé.
Sacs éléphants
Le grand luxe, c’est aussi le créneau de la marque espagnole Loewe, emmenée depuis 2013 par l’Irlandais Jonathan Anderson. Elle était fameuse pour son artisanat d’exception, il lui a redonné de l’actualité, de la singularité, bref une désirabilité dont toutes les marques rêvent, par une approche conceptuelle et arty qui produit des décalages subtils mais marquants.
Samedi, à la maison de l’Unesco, on a de nouveau vérifié cette capacité à faire la différence sans pour autant déraper vers l’extravagance impraticable hors podium. Alors que la plupart des propositions de cette salve ont des tonalités tranchées, soit très urbaines soit très nature et découvertes, la sienne est sur une ligne de crête : sur une passerelle de rondins de bois, des garçons très propres et sérieux à raie sur le côté arborent sur leur manteau, comme on le ferait d’un tablier, une robe scintillante ; leurs souples pantacourts sont couronnés de franges ; leurs chemises ont les manches extra-longues ; leurs têtes sont ici et là flanquées de drôles de chapeaux à échos amérindiens. Des ceintures virent au chapelet de chaînes, les sacs ont la forme d’éléphants, des chemises s’ornent de coqs.
Tous ces éléments pourraient être perturbants, or il se dégage de l'ensemble une élégance poétisante et paisible : le champ des possibles s'élargit sans heurt, quoique porté par une certaine autorité, toute cette affaire est précise et cohérente. C'est que le dosage fonctionne bien, entre bohème et patrimoine, queer et masculinité, originalité et classicisme. Mention aux manteaux : en cuir, laine, cachemire ou satin, ils sont soufflants de beauté.