Memphis ne se remet pas de la mort de Martin Luther King, assassiné il y a un mois sur son balcon du Lorraine Motel. Après les troubles qui ont suivi l'annonce de la tragédie, le calme est peu à peu revenu dans les rues de la ville, quadrillées par les forces de l'ordre. Mais dans les milieux musicaux, qui ont porté loin la réputation de Memphis, Tennessee, l'ambiance est funèbre et tendue. «Quelque chose s'est brisé ce soir-là», dit Steve Cropper, le guitariste des MG's, qui accompagnèrent notamment Otis Redding. J'étais à San Francisco, tous les musiciens étaient sonnés par la nouvelle, mais c'est quand je suis revenu à Memphis, au studio Stax, que j'ai compris que plus rien ne serait comme avant.» Il n'est pas superflu de préciser que Steve Cropper est blanc, comme Peter Guralnick, jeune journaliste qui chronique la soul music pour le Boston Phenix et qui se dit lui aussi bouleversé: «Nous nous sommes sentis loin de tout, écrit-il. Nous étions attristés à notre façon de la mort d'un homme et de la mort d'une promesse qui portait autant d'espoir pour nous, les Blancs, que pour n'importe quel homme noir.»
Du jour au lendemain, l'ambiance s'est figée entre musiciens noirs et blancs qui, dans le Sud de la ségrégation, partageaient beaucoup depuis quelques années et vivaient «en famille». «J'ai tout de suite senti que mes amis noirs ne pourraient plus travailler avec moi de la même façon», raconte Jim Dickinson, un des guitaristes les plus en vue de la scène locale. «Ils pensen