Aux murs de son bureau, au 19 Berggasse à Vienne, Sigmund Freud aurait eu deux portraits de femme : Lou Andreas-Salomé et la chanteuse française Yvette Guilbert. Le père de la psychanalyse fan de chansonnettes ? Hé oui. En 1890, en stage à Paris auprès du célèbre docteur Charcot, Freud découvrit la chanteuse à l’aube de sa carrière, avant qu’elle ne devienne la reine du café-concert, une célébrité adulée par le Tout-Paris des peintres et des écrivains.
De 1926 à 1939, le praticien viennois entretint une correspondance avec Yvette Guilbert, et c’est de ce matériau, inédit, que Nathalie Joly a tiré un spectacle débordant d’humour et d’intelligence, qui fait oublier l’inconfort de la salle où il se déroule.
On comprend ce qui a fasciné Freud dans le répertoire de la chanteuse : le dédoublement de personnalité qui permet d'incarner chaque personnage («des coquettes, des femmes vertueuses, des criminelles, des ingénues», énumère-t-il dans une des lettres), la liberté (souvent autorisée par l'humour) à l'heure d'aborder l'adultère, la sexualité ou le témoignage d'un certain féminisme.
Ce qui fit d'Yvette Guilbert la plus grande chanteuse de son époque, c'est d'abord son art d'interpréter, dans un chanté parlé tout en nuances. Ses «tubes» (le Fiacre, Madame Arthur) sont des petits chefs-d'œuvre d'ironie vacharde, mais elle excella aussi dans le mélodrame, sans tomber dans le pathos des chanteuses réalistes. Notamment avec la Glu, sidérant conte gothique mâti