Le National gronde mais fait patte de velours. Il fut un temps où nous parlions avec le chanteur dostoïevskien de ce meilleur groupe de rock américain, Matt Berninger, du «hurlement». Comment faisait-on pour vociférer ainsi, ex abrupto et tout du long,l'hymne de voleur de feu Abel ? Très simplement avec le ventre, sans une seconde s'égosiller, exposait Matt ; là où un McCartney dit avoir peiné à apprendre de Lennon à hurler Kansas City à la Little Richard, «avec la tête».
Aujourd’hui, à l’heure du concert événementiel à La Villette avec Pavement ressorti des glaces (lire page 26), plus question de cela. Stop au cri, The National de l’Ohio sur Brooklyn, cinq albums à son actif, donne de la voix comme en implosion ; tel un grand corps souterrain soulevé de spasmes, pantelant de puissance contenue, en Kraken pop baryton qui sommeille.
Et ainsi fait le rock du National. Trêve de démonstrations et de clameurs, High Violet est un drame sourd, sous tension et contrôle, où rien n'éclate. La fatalité, la noblesse de l'échec mènent la danse. Et l'émotion que suscitent et nourrissent les onze nouvelles plages sombres du quintet n'en est que plus dense, poignante. On n'entend pas l'explicite Anyone's Ghost (Fantôme de personne), les sirènes de Sorrow ou Afraid of Everyone sans conséquence. Mine de rien, la «peur», transe innommable nommée (trois fois), rampante, véritable mode de vie moderne