De 1992 à 1995 à New York, Antony Hegarty se produisait avec sa troupe de drag queens, les Blacklips, dans des cabarets interlopes du Lower Eastside. Régulièrement, il était Fiona Blue, personnage inspiré de Blue Velvet de David Lynch. Sait-il seulement qu'aujourd'hui, alors qu'il fait sensation à la tête du groupe Antony and the Johnsons, on a l'impression en l'interviewant d'entendre Lynch ? La même douceur, la même étrangeté hypnotique aussi. Sensation de sonder un extraterrestre, dont on parle la langue mais sans comprendre tout ce qu'il raconte. A ouvrir des yeux si ronds qu'à un moment, Antony fait mine de s'inquiéter : «Do you think I'm crazy ?» Il venait de dire ceci : «J'ai le sentiment que la société est devenue virulente, et que nous nous comportons comme un virus. Ça n'est pourtant pas notre nature, nous sommes des mammifères, des mammifères à sang chaud.»
Alors, à la fin, il soupirera : «J'ai été trop extrême, n'est-ce pas ?» Tu parles. Antony, on a compris entre-temps, mène très bien sa barque. Animiste et écologiste, il a décidé de mettre sa notoriété au service de la cause environnementale. Le faire parler d'autre chose est désormais plus que coton. Exactement comme Lynch avec la méditation transcendantale. Comme quoi Antony, protégé du grand méchant Lou Reed, n'est pas (que) la petite chose extrasensible qui fait sortir les violons jusqu'aux commentateurs les plus jansénistes, de «voix d'ange» ou de «grand bles