Pour les premiers jours de l'automne et avant le grand plongeon dans l'hiver, Moscou s'est offert un bref été indien. Après des semaines de suffocation dans la fumée des incendies de forêts, un soleil nettoyé a jeté la foule des badauds dans les rues piétonnes autour du Kremlin jusqu'à tard dans la soirée. Spécialiste de la musique soviétique, Levon Hakobian a donné rendez-vous devant le Bolchoï, mais c'était pour emmener ses visiteurs dans une rue piétonne proche et pousser la porte d'un restaurant… belge, au nom aussi international que la cuisine qu'on y sert : le Pain quotidien. En fond d'ambiance, une insipide worldmusic vaguement orientale. Dans la nouvelle Moscou, l'abondance des produits importés, musicaux ou culinaires, a relégué aux oubliettes le rationnement de l'ère stalinienne.
Levon Hakobian est né l'année de la mort de Joseph Staline, à Erevan, la capitale de ce qui était alors la République socialiste soviétique d'Arménie. La musique au temps du communisme n'est pas seulement son objet de recherche : ce fut aussi le décor de son enfance, même à 3 000 kilomètres de Moscou. «Dimitri Chostakovitch ? Tout le monde le connaissait. Lui et Rostropovitch, c'étaient les deux plus fameux. A l'école, on apprenait l'épisode de sa Septième Symphonie, jouée face aux Allemands pendant le blocus de Leningrad. La télévision passait des documentaires, sa Valse-Plaisanterie était devenue la musique d'un dessin animé qu'on chantait tout le temps. Il faisait p