Comme d'habitude lorsqu'il ne fait pas trop froid, la porte de la maison en brique sombre est ouverte sur la rue. Pas besoin de frapper, Robert Wyatt nous a vu arriver et nous attend, clope au bec et tasse de thé à la main, pour discuter de son très beau mais déconcertant nouvel album, For the Ghosts Within. Un vieux jazz file dans la pièce où le soleil pénètre dès que les nuages lui laissent un peu d'espace. Une trompette et un cornet dorment au pied d'un piano demi-queue. Une casserole, des fûts bizarres, des tuyaux en plastique colorés et un keffieh pendent devant la cheminée. Les autres murs sont occupés par des tables de mixage fatiguées et une collection de disques.
C'est dans cette maison de Louth, une bourgade isolée du Lincolnshire, à l'est de Sheffield, en Angleterre, que le barbu paraplégique travaille depuis plus de vingt ans, après que sa femme, Alfreda, et lui se sont convaincus que «Londres n'était plus fait pour [eux]». Et surtout pas pour le fauteuil roulant dans lequel Robert Wyatt est coincé depuis 1973, le dos broyé après une chute du quatrième étage, un soir de beuverie en compagnie des principaux acteurs de la scène rock psychédélique britannique de l'époque.
La première vie de Robert Wyatt, qui s’était lancé en solo en 1970 avant d’être viré de Soft Machine l’année suivante, s’achève là. La remise en cause musicale qu’il avait alors déjà entreprise a dû changer de forme : abandonner la batterie pour la trompette, le piano et une poésie