Paru en dernière page de «Libération» du 23 mars 2012.
La Jeep Wrangler noire traverse le bois de Boulogne, en direction de Marnes-la-Coquette (Hauts-de-Seine) où vit le chanteur, au milieu des arbres. Mais Hugues, la ceinture ? «Oups, c’est un oubli. Mais elle est un peu rétive.» Il tire comme un damné sur le dispositif, hisse et ho, un ultime effort et le ruban finit par se dérouler. Nous voilà revenus dans la légalité. Pourquoi ce véhicule ? «Parce que c’est la voiture qui nous a libérés en 1944», lance Hugues Aufray. La réplique a valeur de marqueur temporel : l’homme qui nous transporte a vécu l’Occupation, le Débarquement, la Libération… Il conduit sans lunettes, porte ses guitares sans effort et se tient droit comme un peuplier, mais sa carte d’identité est formelle : il a 82 ans. «Avoir vécu la guerre, poursuit-il, au feu rouge suivant, me différencie des autres artistes des années 60. J’ai dix ou quinze ans de plus que Johnny, Eddy Mitchell, Claude François…» L’insouciance yé-yé des enfants du baby-boom, ça n’est pas lui. Mais il n’est pas non plus de la génération des Ferré ou Brassens, artisans d’une chanson patrimoniale (presque) sans influence anglo-saxonne. Hugues Aufray est entre les deux, dans un territoire souvent inconfortable. On l’a souvent décrit comme pourvoyeur de refrains pour culottes courtes, une petite dizaine d’écoles françaises portent même son nom. L’étiquette l’agace : «Les vraies chansons pour enfants, ce s