Il est dix heures du matin à l'Avery Fisher Hall, la salle de concert du Lincoln Center de Manhattan. Daniil Trifonov répète le Concerto n°3 de Prokofiev avec le New York Philharmonic. Sur le podium, Alan Gilbert lève sa baguette et lance l'orchestre. Assis dans la salle, Sergei Babayan, pianiste remarquable, suit la séance, nez dans la partition sur laquelle il colle des Post-it. C'est, depuis quatre ans, le professeur de Daniil Trifonov au Cleveland Institute of Music dans l'Ohio.
Une heure plus tôt, Trifonov a rencontré le chef dans son bureau. Ils ont discuté des tempi et des dynamiques à adopter car ce concerto, très virtuose et contrasté, pose de nombreux défis techniques. Il suffit d'un rien pour que le piano soit couvert par l'orchestre ou, pire encore, que les deux se décalent rythmiquement. Les interprètes ont donc intérêt à s'entendre sur le papier s'ils veulent être bien entendus dans la salle. Quarante-huit heures auparavant, Trifonov était à Spokane, sur la côte Ouest des Etats-Unis. A en croire le reporter de The Spokesman Review, sa performance dans le même concerto fut éblouissante. Au point que Sherry Knott, sponsor de l'orchestre local, se serait exclamée : «Je ne suis pas sûre qu'il sera encore dans nos tarifs la saison prochaine !» Malgré son premier prix remporté au dernier concours Tchaïkovski de Moscou, Daniil Trifonov, 21 ans, garde la tête froide : lorsqu'on le félicite, il fait comme s'il n'avait pas entendu.
Le lendemain d