Dans le duplex de l’île Saint-Louis (Paris IVe), la poussière s’accumulait depuis longtemps sur les guitares. Les problèmes respiratoires des dernières années n’avaient rien arrangé, mais le maître des lieux n’avait de toute façon jamais été un acharné du boulot. Grand seigneur bohème, fainéant heureux, proche des cossards tendrement décrits par son compatriote Albert Cossery, Georges Moustaki n’avait aucun compte à régler avec le monde.
La scène se déroule à Paris, en 1967. Georges Moustaki passe alors plusieurs heures par jour vautré sur le divan de Barbara, chez qui il vient regarder la télévision. «Elle m'a menacé de faire disparaître le poste si je ne lui écrivais pas une chanson. Je lui ai fait la Longue Dame brune, ça m'a pris une heure.» (1) Pas sûr que Milord lui ait demandé beaucoup plus de temps. C'était en 1959, peu avant la fin de son histoire d'amour avec Edith Piaf. Il avait griffonné un brouillon de la chanson. Un soir, la chanteuse place la feuille chiffonnée à côté de la machine à écrire du jeune homme. Une commande, en somme. De Gréco (Ma Fille bonjour) à Henri Salvador (Il n'y a plus d'amandes) en passant par Dalida (la Fille aux pieds nus) ou Nicoletta (Rien n'a changé), ils sont ainsi quelques-uns qui n'ont pas eu à regretter d'avoir soutiré à Moustaki une heure de son temps. A ce jeu, Serge Reggiani n'est pas le plus mal loti : Ma Liberté, Ma Solitude, Sarah, Votre fille a 20 ans… rie