Il arrive souvent à Maurizio Pollini de jouer à côté de la plaque, à Denis Matsuev de cogner comme une brute ; quant à Krystian Zimerman, il nous a toujours fait mourir d’ennui. Mais dès la première seconde où l’on a entendu Daniil Trifonov, on a compris que l’on tenait un pianiste unique : sa technique digitale et sa palette de couleurs rivalisaient avec celles de l’ogre Grigory Sokolov, tandis que son lyrisme torrentiel était celui d’un enfant. En ajoutant à cela un sens aigu de l’agogique et un refus de toute emphase, on tenait rien de moins qu’un héritier de feu Ignaz Friedman.
Malicieux. Ces trois dernières années, le natif de Nijni Novgorod (400 km à l'est de la capitale russe), formé par Tatiana Zelikman à Moscou et toujours suivi à Cleveland par Sergei Babayan, a démontré qu'il était l'égal des maîtres du passé : il a la puissance cinglante de l'aigle Richter dans Prokofiev, la noblesse du colosse Gilels dans Tchaïkovski, l'inventivité malicieuse de Horowitz dans Scarlatti et la tendresse rêveuse de Clara Haskil dans Mozart. Le fait que Daniil Trifonov compose lui-même explique sans doute sa capacité à entrer en résonance avec l'esprit et le style des compositeurs qu'il interprète.
On a encore pu en juger le 23 octobre où, courbé sur le clavier tel Glenn Gould, il donnait son deuxième récital à l'Auditorium du Louvre. Passé de magistraux Reflets dans l'eau et Mouvement, extraits du premier livre des Images