Décloisonnement : un long mot que n’a de cesse d’étirer Vincent Peirani, s’agissant de l’instrument dont l’apprentissage classique lui fut imposé à l’âge de 11 ans par son père - lui aurait choisi la batterie - et auquel il donne, aujourd’hui, des ailes.
Repéré dans le groupe de la chanteuse coréenne Youn Sun Nah, l'accordéoniste que tout le monde s'arrache a multiplié les expériences, de l'intrépide Campagnie des musiques à ouïr à Roberto Alagna, en passant par le violoncelliste François Salque. Si 2014 sonnait l'heure de la consécration pour l'accordéoniste virtuose, né en 1980, avec une récompense aux Victoires du jazz dans la catégorie «Révélation de l'année», la cuvée 2015 s'annonce non moins fructueuse entre la sortie de Living Being, son nouvel album enregistré avec un quintette électrique flambant neuf, et une tournée qui prend des allures de marathon, se déclinant en duo ou en trio - selon les projets qu'il mène de front.
Inséparable. Après Thrill Box en trio acoustique sorti en 2013, Vincent Peirani a choisi, pour ce second album sur le label ACT dont il fête la sortie au festival Sons d'hiver de Saint-Mandé, de s'entourer de vieilles connaissances, pour certains «des amis d'adolescence».
De vifs trentenaires dont Tony Paeleman au Fender Rhodes, le batteur Yoann Serra, membre de l'Electric Epic, du saxophoniste Guillaume Perret, qui est originaire comme Peirani de Nice, ou encore le bassiste Julien Herné avec lequel il a joué dans le groupe tzigano-rock, les Yeux noirs. Et, bien sûr, son alter ego, le saxophoniste Emile Parisien, «ma maîtresse» plaisante-t-il, rencontré au sein du quartette de Daniel Humair. Le couple, devenu inséparable, a scellé son atypique union en 2013 via le chatoyant Belle Epoque.
C'est à sa descente de train à la gare Montparnasse, en provenance de La Rochelle, que l'on retrouve Vincent Peirani, affamé, dans un café du coin, encore empreint de la stimulante énergie circulatoire d'un nouvel échange, la veille, avec ses deux compagnons fétiches, Michel Portal et Emile Parisien. Du premier, qu'il connaît aussi très bien pour le fréquenter assidûment, notamment dans un tête-à-tête musical toujours sold out où qu'il se produise, il dit : «Michel m'a encore surpris hier soir. C'est complètement grisant et le public le ressent.»
Entre soif d'improvisation et goût du risque, densité et légèreté, la complicité entre eux est palpable. Comme une évidence qui s'explique par une similarité de formation et de parcours, le goût des autres, ainsi qu'une immense curiosité. «Ma spécificité, c'est de ne pas être spécialiste», explique Peirani qui comme Portal, garde «toujours un pied dans le classique». Après avoir dédié à son aîné le thème Trois temps pour Michel P. sur Thrill Box, Vincent Peirani fait sien Mutinerie signé par Portal sur l'album Dockings en 1998, «pour le tordre et en faire autre chose, de tendu et doux».
Contrôle policier. Flatté, l'infatigable intéressé, précurseur du free jazz avec son groupe Unit, joint par téléphone, dans un train de retour d'Italie, exprime, malgré un contrôle policier incongru dû à la présence de migrants, la satisfaction éprouvée envers ce choix et son nouveau traitement : «Le jazz fait bouger les tables, dit Portal, face à mon approche qui était voulue très directe, immédiate avec Joey Baron à la batterie et donc une volonté de faire du bruit, Vincent donne une version éclairée, une poésie sous contrôle, le reflet de son style, avec des paysages de l'espace et des ruptures sensibles. Une autre histoire.»