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Richard Hawley : «Si je n’étais plus créatif, j’en mourrais d’ennui»

Rencontre avec le crooner anglais, qui publie son huitième album solo.
Richard Hawley, 48 ans, vendredi 18 septembre à Paris. (Photo Mathieu Zazzo)
publié le 21 septembre 2015 à 17h36

A un journaliste anglais lui faisant remarquer qu'il avait en commun avec quelques autres musiciens fameux d'avoir passé une part pas négligeable de son enfance sur un lit d'hôpital (il a subi une trentaine d'opérations de son bec-de-lièvre), Richard Hawley, 48 ans et quelques récents problèmes de dos, avançait que «c'est ce genre d'expériences qui vous apprennent à vivre dans votre tête».

D'un album à l'autre - le huitième, Hollow Meadows, vient de paraître (lire ci-contre) -, la temporalité propre à sa musique résiste un peu plus à toute forme de datation carbone : ses surfaces brassent certes sur un air nostalgique les signes les plus nobles d'un âge doré de crooning aristo et viril, en même temps que tout y concourt plus secrètement, dans la dilatation des durées, les ruptures et les torsions intimes qui charpentent ses compositions, à en faire le lit d'une modernité jamais claironnée, mais non moins aiguë.Il y a aussi et surtout cet usage obstiné de vieilles chambres d'écho à bande ou à ressort, aux réverbes qui s'allongent disque après disque, et dont on aurait presque le sentiment que c'est pour et par elles que s'étirent ses ballades. A force de revenir à la musique de Hawley, on a fini par l'identifier tout à fait à ce lieu dont, à force d'y résonner, ses chansons décriraient les contours et volumes. Ceux d'une caverne strictement mentale, un espace fictif, tapissé de mots soyeux, qui n'existe en vérité nulle part (Hawley s'enregistre dans l'exiguïté d'un abri de jardin arrangé en studio), mais où il fait bon revenir se loger et admirer combien il excelle à en orchestrer le climat de romantisme atemporel.

Quelle relation entretenez-vous à vos précédents albums ?

Ne jamais regarder en arrière. Je ne réécoute mes disques que pour préparer les concerts, et parfois je ne les reconnais alors tout simplement pas. Certains disent que ce nouvel album marque un retour au «Richard Hawley classique», ou que le précédent marquait une rupture. Dans les deux cas je ne comprends pas ce que ça veut dire. Hollow Meadows est très différent pour moi, parce que pour la première fois, j'ai finalisé tous les textes avant la composition. Je savais donc déjà quelle direction empruntait l'ensemble. Il n'y avait pas de… panique (il éclate de rire). Cela m'a permis d'aller à l'essentiel, je n'ai pas eu à m'éparpiller, empiler puis dépouiller. La chanson était reine. Je n'avais qu'à me laisser guider. C'est un processus presque animal. Tout repose sur la sensation, le sentiment. Je n'analyse rien. Car dans le mot «analyser», il y a «anal». Vous voyez ce que je veux dire ?

Vous travaillez sur des durées longues, qui excèdent les standards pop, comme si vous cherchiez à établir votre propre temporalité…

C’est que je n’ai ni l’envie ni la prétention d’écrire des tubes. C’est ce qui m’autorise à prendre mon temps avec ces longues intros, ces interludes sans fin… Si c’était le cas, il me faudrait me conformer à des règles, inscrites depuis longtemps dans les livres. Quel intérêt ? Si l’on se dispense de les suivre, une chanson pourra être très courte ou très longue, peu importe, c’est simplement comme cela que l’on ressent qu’elle doit être. C’est ma musique, non ? La seule manière d’être un individu dans ce que l’on fait exige de suivre ce que l’on est, ses instincts propres. Sans quoi on court après la foule, la radio, les  charts. Et ça rend la musique chiante, comme en toutes choses où des règles s’appliquent. On me demande souvent pourquoi je ne confie pas mes disques aux soins d’un producteur, c’est simple : il ne comprendrait pas ce que je cherche, il voudrait me convaincre de faire un hit, et assez vite, je le tuerais. Je devrais l’abattre, comme un chien. Parce qu’il aurait tort.

Qu’est-ce que cela change d’enregistrer un album à domicile ?

C’est qu’il s’agit de passer un peu de temps avec ses enfants, vous savez… Mais j’ai suffisamment vu le monde pour voyager dans ma tête. Et je suis attaché à l’importance des racines. Elles sont ce qui nous permet d’avoir une perspective sur le monde.

Mais vous pourriez vouloir dissocier votre art du cadre de la vie quotidienne et familiale…

En ce cas, cela voudrait dire que ma musique aurait pour sujet non pas ma vie, mais autre chose. Mais alors, de quoi pourrait-elle parler ? Ce serait prétendre être quelqu'un d'autre et cela ne m'a jamais intéressé. C'est une vieille décision, que j'ai prise quand j'ai commencé à faire mes propres disques, sous mon nom [en 2001, ndlr]. Si vous y songez, le principe même de nom de groupe est une absurdité. Imaginez que vous et moi formions un groupe. Comment devrait-on se faire appeler ? Soyons The Onions, ou The High Chairs. C'est d'une stupidité sans nom. Parce qu'il n'y a aucune vie, aucune vérité, aucun cœur là-dedans. La plupart de ces noms ne sont que des masques idiots. Or, je n'ai jamais rien voulu cacher, seule la vérité m'importe. Parce que c'est là ma chance que quelqu'un qui écoute ma musique puisse ressentir quelque chose. Quand on a 20 ans, que l'on fonde son groupe, qu'on lui choisit un nom à la con, on ne voit guère plus loin que la semaine suivante. On ne mesure pas que l'on va devoir vivre et vieillir avec. Moi, la seule chose à laquelle je dois me conformer, c'est d'être Richard Hawley.

Le fait est que j’ai fait ce choix à un âge où la plupart des musiciens ont déjà connu le succès, puis l’indifférence, commencent à avoir des gosses à nourrir et sont surtout confrontés à leur dépendance à la coke et la nécessité de trouver un job. Et en même temps, en m’avançant ainsi sans masque, je n’imaginais pas que ça pourrait intéresser qui que ce soit.

Quelle est votre relation d’auditeur à la musique ?

J’en écoute peu, désormais. Mon tempo est totalement différent de la plupart des gens. Je ne passe pas d’une chose à une autre sans cesse, comme c’est désormais l’usage, car je trouve ça crétin, superficiel. C’est aussi pourquoi je trouve plus inspirants les livres, ou les arbres, les rivières de Sheffield. Ce serait absurde, à mon âge, de vouloir absolument me cramponner à l’époque, son agitation, ses modes. Et je me sens pourtant toujours créatif. Et si je ne l’étais plus, j’en mourrai d’ennui.

Comment expliquez-vous qu’à l’inverse de la plupart des musiciens de Sheffield, vous n’ayez jamais ressenti le besoin de fuir la ville et sa mythologie ?

A vrai dire, je n'avais jamais eu de passeport ni de compte en banque jusqu'à mes 25 ans. Parce que je ne voyais pas l'intérêt. Je n'allais nulle part et je n'avais pas un putain de sou (rires). Et il y a aussi que non seulement j'adore cette ville, mais en plus j'étais rancunier à l'idée qu'il faudrait absolument aller à la capitale pour faire sa vie de musicien, vivre dans un appartement pourri dans l'espoir de faire carrière, etc. Cela me paraissait faux. Et plus tard, l'existence m'a donné raison : tout n'est pas à Londres. Si ce que vous faites en vaut la peine, ils viendront à vous. Parce que vous avez ce qu'ils veulent. Encore une fois, il s'agit de prendre des décisions non pas en fonction de qui vous voudriez devenir, mais de qui vous êtes, des compromis que vous êtes capable d'encaisser. Je n'ai eu qu'à attendre, à être très patient. Softly softly, catchee monkey