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Libération
Nouvelle ère

Nicolas Godin, come-Bach bluffant

Avec «Contrepoint», la moitié de Air adapte le maître allemand à sa sauce : une pop qui voit large.
Godin, ex-«singe voyageur». (Photo Thomas Humery)
publié le 28 septembre 2015 à 17h56

Le duo est silencieux depuis 2012 et sa BO du Voyage dans la Lune de Méliès. Si Air semble bel et bien en pause, Jean-Benoît Dunckel, 46 ans, claviériste et moitié du couple musical formé avec Nicolas Godin, a multiplié les projets parallèles : Darkel (2006), Tomorrow’s World (2013) avec Lou Hayter (New Young Pony Club) ou encore Starwalker (2014) avec Bardi Johannsson (Bang Gang, Lady & Bird).

«Singe». Godin, lui, avait totalement disparu de la scène. Et voilà qu'on apprend qu'au sein de Air, il ne se sentait plus aussi à l'aise, sentiment né lors de la dernière tournée du binôme, en 2010, qui faisait suite à l'album Love 2.«Avec Air, on ne se surprenait plus, comme c'est le cas pour la plupart des groupes qui sont ensemble depuis dix ans ou plus. Et je me suis aperçu que la musique ne prenait plus qu'une petite place dansmon quotidien, se souvient Godin, 45 ans. Tous les jours de cette tournée se ressemblaient. J'étais devenu ce que Glenn Gould, un nom mythique, appelait "un singe voyageur dans le grand cirque musical".»

La référence au pianiste canadien n’est pas fortuite. Il était «obsédé» par Jean-Sébastien Bach. Le compositeur et organiste allemand, disciple du contrepoint - le rapport entre des harmonies interdépendantes - fascine Godin : «Sa musique est la plus belle de tous les temps.» Alors, quand un ami musicien lui fait visionner des documentaires montrant Gould jouer du Bach, il se dit qu’il va «explorer cet univers mystérieux et inaccessible». Il trouvera en Vincent Taurelle, pianiste de Air, de formation jazz et classique, fin connaisseur de Bach, un précieux allié. Ainsi va naître Contrepoint, première incursion solo du bassiste de Air en ambition de rupture totale avec le duo cosmique qu’il a cocréé.

Baroques. La méthode ? Briser les partitions initiales pour les recoller sur un mode arbitraire. Soit huit morceaux (de 2,23 mn à 7,16 mn, pour un total de 33 mn) de Bach réarrangés à la sauce Godin : une pop- electro qui visite la bossa, le tropicalisme, le rock expérimental, à laquelle Taurelle a ajouté sa touche de classique. C'est sur les partitions du Clavier bien tempéré de Bach que l'idéea fait son chemin. Dans ce travail de Godin, il y a comme une forme de BO dans l'appropriation de ces thèmes baroques intemporels. Meilleure illustration de son culot, l'introduction d'arrangements de voix, telles celles de Gordon Tracks (alias Thomas Mars, chanteur du groupe Phoenix), du Brésilien Marcelo Camelo (Los Hermanos), le spoken word de Flavia Eusepi.

Le résultat est toujours surprenant, souvent déroutant, parfois bluffant. Comment ne pas être étonné à l'écoute, réinventées, des partitions du Kapellmeister, dont les structures, nées il y a trois siècles, ondulent entre guitare électrique, synthés, clavecin, batterie, vents, bois… dans des dédales tantôt bruts, tantôt doucereux, dessinent les cartes de nouveaux territoires.