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Libération
Portrait

Miguel, sex bomb pop

A 30 ans, le chanteur américain compose et chante du r’n’b extrêmement métissé  à forte connotation sexuelle.
publié le 20 octobre 2015 à 17h58

«You know what I mean ?» demande régulièrement Miguel. Le chanteur californien de 30 ans se soucie de son interlocuteur. Il parle avec douceur, choisit ses mots, regarde dans les yeux, sourit en coin. On le connaît peu en France, mais Miguel Jontel Pimentel, qui a fait de la sensualité sa marque de fabrique, cartonne aux Etats-Unis, où il a écoulé récemment plusieurs centaines de milliers d'albums dans la mouvance r'n'b.

Sorti en juin, son dernier disque a, chose rare, mis tout le monde d'accord. Wildheart, sur la pochette duquel on peut admirer Miguel avec une dame, tout nus dans des volutes de fumée rose, a été plébiscité par le grand public, les médias d'info générale (New York Times) et la hype (pas loin d'obtenir la note maximale sur le site Pitchfork). Et en effet, abstraction faite de ses photos kitsch, cet album force l'admiration. Il mélange toutes sortes d'influences, avec maîtrise et érudition. Il alterne la ballade rock à la guitare et le hip-hop nonchalant, se pare de textures électroniques trip-hop, repart sur du groove distordu par la réverbe, enchaîne avec un beat funk… Tous ces éléments possèdent un point commun, la moiteur sensuelle qui infuse les chansons, même les plus romantiques qui évoquent les feuilles d'arbres à Los Angeles ou le bonheur conjugal. D'autres sont plus cash. Flesh fait l'apologie de l'acte sexuel («Je suis un esclave de ta chair»), Valley évoque une vision assez personnelle de l'industrie américaine du porno («Confesse moi tes pêchés pendant que tu te masturbes»).

Parler de sexe dans la musique r'n'b n'est pas neuf, mais le point de vue de Miguel est assez unique en son genre. Il ne joue pas au prédateur à la recherche de bitches pour satisfaire son plaisir. Il se concentre sur celui de sa partenaire. Dans un album précédent, une chanson racontait les moyens mis en œuvre pour combler une femme de sept ans son aîné. Miguel est un genre de nouveau LL Cool J (le rappeur qui, dans les années 80, passait langoureusement sa langue sur ses lèvres qu'il savait pulpeuses) et se met en scène comme un objet sexualisé. Dans ses clips aussi, il donne de sa personne en batifolant nu dans des draps au côté de femmes, souvent la sienne (dont il semble très fier), souvent en string.

Quand il est habillé, Miguel est très coquet. Rencontré à Paris le lendemain de son concert à l'Olympia, au milieu de sa tournée mondiale, il porte un manteau de créateur prune, beaucoup de bagues, bracelets, colliers, un petit bonnet orange et des lunettes de soleil. «J'aime tout ce qui me permet de m'exprimer, y compris les vêtements», explique l'intéressé, qui poursuit : «Je sais qu'on vit à une époque très visuelle, j'en tire profit.» Ferait-il référence à la photo postée sur Instagram de lui au lit, glandant sur Pornhub avec son chat à côté ?

Pour Miguel, l'étalage de la sexualité relève d'une forme d'honnêteté. «Je suis une personne très sexuelle. C'est la manière dont je me comporte», affirme-t-il. Le déballage de chair, en vigueur dans la pop mainstream actuelle, ne réussit pourtant pas à tout le monde, Britney Spears peut en témoigner. Interrogé sur le sujet, Miguel fait le coup d'enlever ses lunettes de soleil et de regarder droit dans les yeux (et oui, ça marche toujours), avant de répondre : «Il y a des artistes qui écrivent leurs chansons et ceux qui se contentent d'interpréter celles qu'on compose pour eux. Cette deuxième catégorie essaie parfois de compenser son manque d'intégrité en en faisant trop, en voulant être sexy à tout prix. Et c'est là que le bât blesse.» Miguel a le droit de vilipender ses petits camarades, il écrit ses chansons lui-même et a joué les ghostwriters pour Usher.

Né à Los Angeles d'un père mexicain et d'une mère afro-américaine, le chanteur a connu un succès relativement tardif pour quelqu'un qui s'essayait déjà en studio à 13 ans. «On m'a longtemps dit qu'il n'y avait pas de place pour moi», se souvient-il. Aujourd'hui, pour être une pop star, il faut être différent, voire un peu bizarre. Mais au moment où Miguel débute, à l'aube des années 2000, l'heure est au formatage. On aime les boy bands lisses, les chorégraphies calibrées, les productions standardisées qui respectent les frontières rigides entre les genres. Dans le r'n'b, c'est l'époque des bad boys pas méchants, des baraqués au crâne rasé, à la Usher ou Nelly. Du haut de son mètre soixante-dix, le jeune Miguel, qui cultive déjà son petit look de dandy (gomina incluse) et a une vision précise de ce qu'il veut faire (tout mélanger), n'est pas le candidat idéal.

«Jeune et influençable», il suit les conseils de la maison de disque indé qui l'a signé. Il sort quelques singles où il joue les durs en blouson en cuir et jean baggy. Ça ne marche pas. «Que les gens du marketing aiment ou non ma musique était secondaire. Le problème était qu'ils ne savaient pas où me mettre», analyse-t-il. On lui conseille d'écrire pour d'autres. «On me disait que je ne vendrais jamais rien en mon nom parce qu'on ne comprend pas d'où je viens. Je suis à moitié mexicain, j'ai un son black, mais l'air philippin.»

Miguel n'est pas amer vis-à-vis de son ancien label, juste un peu honteux de ses premiers clips. Il est conscient que la question de l'ethnicité joue toujours un rôle en musique. «Même si parfois, il y a confusion sur mes origines, j'ai la peau foncée, ça crée une certaine attente. Je pourrais écrire un album entier avec de la guitare, plein de distorsion, super rock'n'roll. Les gens diront : c'est du funk», s'amuse Miguel. Le sentiment de n'être nulle part à sa place explique sans doute son obsession de brouiller les genres. Il est «fier de contribuer à faire changer les a priori liés à la couleur de peau d'un artiste.» Cela lui a inspiré une bonne ballade rock, What's Normal Anyway ?Ça dit : «Trop propret pour les Blacks, trop Noir pour les Mexicains, pas assez cool pour être un lascar, mais être normal, c'est quoi ?»

Finalement, Miguel n’a eu qu’à prendre son mal en patience. Internet a joué en sa faveur en diluant les catégories musicales, les frontières entre indé et mainstream et le besoin de normalité inhérent au succès. En 2007, Mark Pitts, un producteur new-yorkais, intercepte une chanson que Miguel veut proposer à Usher. Il voit le potentiel, l’encourage à persévérer, lui fait signer un deal avec une major, Jive, une filiale de Sony. La rupture de contrat avec sa précédente maison de disque compliquant les affaires, son premier album de dandy sexuel ne paraît qu’en 2010.

Miguel assure qu'il a peu changé depuis ses débuts. Ses intentions, en particulier, sont restées identiques. «J'ai envie de montrer que c'est OK de faire ce dont on a envie et d'assumer ce qu'on est. Qu'il ne faut pas se censurer pour se conformer aux attentes des autres. Même si on paraît sauvage.» Il fait une pause. «You know what I mean ?» Sure.

23 octobre 1985 Naissance à Los Angeles.

2000 Première signature avec un label.

2010 Premier album, premier succès.

Juin 2015 Sortie de son troisième album, Wildheart (RCA-Sony).

22 novembre Fin de sa tournée mondiale.