Jean-Michel Jarre par Nicolas Godin
Vingt ans après les débuts de Air, Nicolas Godin a présenté pour la première fois avec Contrepoint un album en solitaire, où il remue la pop avec virtuosité à partir de partitions de Bach. Mais avant de rêver de clavecin bien tempéré, c’était les synthés de Jean-Michel Jarre (à droite) qu’il lorgnait.
«Sans être un ancêtre, Jean-Michel Jarre a vu naître avec Pierre Schaeffer la musique électronique. Il l’a popularisée, l’a emmenée dans les supermarchés et sur les télévisions du monde entier. Ayant construit mon récent disque autour de Bach, ceux qui réussissent à faire entrer une musique pointue chez monsieur Tout-le-Monde me fascinent. Et Jarre, lui, ne s’est pas enfermé dans le petit milieu des connaisseurs de synthés, il a mis ça à la portée de tout le monde. Pour les geeks que nous sommes, c’est toujours un plaisir de l’entendre raconter l’évolution des machines. Il y a aussi le son de son synthé qu’il a popularisé, une nappe de l’orgue Eminent Solina pour être précis, qui a fait partie de l’ADN de Air dès le premier maxi, paru en 1995. Il a accumulé le top du matos, qui vaut une fortune : des gros synthés Moog au sampler Fairlight que très peu de personnes dans le monde ont. Je me demande d’ailleurs si je n’ai pas fait toute cette carrière pour pouvoir posséder un jour ses belles machines.»
Modeselektor par Miss Kittin
En tenue d’infirmière avec The Hacker il y a une dizaine d’années sur The First Album, Miss Kittin donnait une première piqûre d’adrénaline à l’électroclash et n’a pas cessé de se réinventer depuis, accompagnée ou en solo. Sur sa future Kittin Collection, elle compilera les collaborations qui ont particulièrement compté pour elle. Preuve de son flair, elle avait invité le groupe berlinois Modeselektor (à droite), à leurs débuts.
«Je les ai vus grandir, ouvrir les frontières entre l’IDM [Intelligent Dance Music] et la techno classique. Je les avais fait venir au Rex il y a plus de dix ans. Ils collaborent régulièrement avec Thom Yorke et ont développé un format live d’avant-garde en symbiose avec le collectif berlinois Pfadfinderei, jusqu’à leur magnifique projet avec Apparat, qui reste un des plus beaux concerts que j’ai pu voir en électronique. Leur label 50Weapons représente 50 sorties, pas une de plus, dont nos compatriotes Bambounou et Laurent Garnier. La soirée 50Weapons Finale va clore cette aventure.»
John Talabot par Chloé
Oiseau de nuit éclos au Pulp, Chloé a une culture club implacable. Ses lives pluridisciplinaires, ses productions très personnelles et la curation de Lumière noire - une nouvelle collection d’EP - sur son label Kill the DJ ou encore sa résidence au Rex cristallisent son exigence et son goût pour l’expérimentation. Pas étonnant qu’elle adoube l’Espagnol John Talabot(à droite), artiste à facettes lui aussi.
«John Talabot a une vision très intelligente de la musique électronique. Il fait partie de ces artistes espagnols qui représentent une nouvelle scène. Il a plein de choses à proposer, autant en concert qu'en tant que DJ. Il a une aura particulière et quelque chose d'intemporel. J'ai particulièrement aimé son album ƒIN, sorti en 2012, et je suis avec attention l'activité de son label Hivern Discs. Ses remix sont particulièrement beaux, comme ceux qu'il a faits avec Axel Boman pour le projet conceptuel Talaboman. Il y a quelques années, je lui ai écrit pour le féliciter pour son album, pensant qu'on ne se connaissait pas, mais il m'a rappelé qu'on avait déjà joué ensemble en France et qu'on avait même fait une partie de bowling avant !»
Colin Stetson par Pilooski
Cédric Marszewski est la moitié de Discodéine mais aussi la totalité de Pilooski : DJ, superviseur musical et producteur, sur son nouvel EP Isola, il convertit à la fois Jarvis Cocker et Simon Liberati au spoken word. Ce musicomane (à l’affiche de la soirée de clôture, le 27 novembre à la Gaîté lyrique) nous a soufflé quelques mots sur l’époustouflant Colin Stetson (photo ci-contre) qui se produira avec la violoniste échappée d’Arcade Fire, Sarah Neufeld (sur la scènede la Maroquinerie, le 3 novembre).
«Colin Stetson fait des choses avec son saxophone qui ne sont pas faites pour le saxophone. Il décale la fonction de son instrument pour un résultat pas forcément mélodique, car ça peut aussi être rythmique. De par sa démarche charismatique et l’utilisation de son instrument à contre-emploi, il est un musicien atypique, dans la filiation d’autres artistes qui se déjouent des genres que j’aime profondément, comme Moondog ou Terry Riley. Il est aussi dans la continuité de la musique de transe, avec un style minimal, un peu abstrait. Quand on parle de modernité, on évoque tout de suite la technologie, mais Colin Stetson pourrait utiliser un instrument vieux de 300 ans et être beaucoup plus moderne que bien des musiques électroniques actuelles.»
Sunn o))) par Mondkopf
De son vrai nom Paul Régimbeau, 29 ans, Mondkopf est revenu des enfers explorés à la lueur de la techno et de l’ambient sur son quatrième album Hadès , sorti l’an dernier. A la Gaîté lyrique, il présentera un live très visuel, à la faveur de la soirée Sonic A/Vantgarde (le 28 octobre).
«Il faut avoir une part un peu maso en soi pour apprécier les concerts de Sunn o))) (photo ci-dessus), car le volume est très fort et ça peut être long. Mais c’est en live qu’on comprend leur musique car on la ressent physiquement. Le groupe fait de la musique lourde avec des notes très longues et joue beaucoup sur les oscillations, les vibrations naturelles que peut générer une musique extrêmement amplifiée. Et ça peut littéralement couper la respiration. Ils ont commencé comme un duo qui rendait hommage à Earth, le groupe à l’origine du drone métal. Mais l’aventure a continué, ils ont sorti plusieurs albums avec de nombreuses collaborations. J’ai pu les voir en live à trois reprises, dans leur formation à quatre, avec un synthé et Attila Csihar au chant. Si d’ordinaire les gens sont souvent passifs dans les concerts, ce groupe ne laisse pas d’autre choix que d’être tétanisé et vivre l’instant. C’est une expérience, bien plus qu’un simple concert. Sous leur influence, sur scène, il me faut aussi être complètement rempli par la musique. Et depuis, quand un groupe ne joue pas très fort, j’en sors frustré.»