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Groove

Doug Hream Blunt, trésor de naguère

Auteur d’un unique album conçu il y a quinze ans, l’autodidacte californien est exhumé par le label de David Byrne.

Publié le 04/01/2016 à 18h41

L'année 2015 fut riche en surprises déboulées de ce grand royaume de l'étrange qu'est le passé oublié. Les yeux toujours pleins des étoiles des succès chez les disquaires de Sixto Rodriguez, Lewis ou Donnie & Joe Emerson, les labels spécialisés dans l'exhumation de trésors inconsidérés - citons les indispensables Music From Memory, Finders Keepers, Light in the Attic ou Numero Group - ont redoublé d'efforts, au point que les médias spécialisés sont désormais obligés d'introniser une rubrique «Inédits du passé» dans leurs listes de fin d'année. Plutôt que de déplorer la prépondérance envahissante de ces blasts from the past sur les propositions angoissées du présent, saluons une nouvelle fois la manière dont les œuvres récemment dépoussiérées d'Elyse Weinberg, Patrick Cowley, Lena Platonos, Savant ou Napoleon Cherry réinjectent du présent dans le passé autant que l'inverse, et permettent de revenir sur l'histoire de la pop de façon plus juste et démocratique en incluant ses minorités.

Pression. Pour ce qui concerne Doug Hream Blunt, on est d'autant plus enthousiaste de découvrir son œuvre qu'elle n'a rien à voir avec un rendez-vous raté avec l'histoire : quand il a enregistré son unique album en 1999 ou 2000 sous la pression de son prof de musique, ce Californien habitué aux petits boulots n'envisageait rien d'autre que d'en déposer quelques exemplaires dans les bacs des disquaires de son quartier. Ni comète ni génie oublié, musicien amateur comme il en existe des dizaines de milliers dans le vaste territoire pop d'Amérique du Nord, Blunt chantait un peu faux et très indolemment, n'hésitait pas à recycler ses mélodies sur ses propres morceaux pour en remplir d'autres, ne menaçait aucune pop star ni aucun inventeur parmi ses contemporains.

Mélomane. Sa chance réside précisément dans son amateurisme et l'intrigante singularité artistique qu'il en tire. Fan avoué de Jimi Hendrix, Blunt a appris le rock et la guitare à l'âge canonique de 35 ans, en suivant un cours intitulé «Comment faire son groupe». De cette improbable anomalie, il tire un mélange inédit d'aplomb et de naïveté qui ne pouvait pas faire autrement que de taquiner le très pervers esprit mélomane contemporain. A la fois consciencieux à la limite du scolaire, très précis et rocambolesque comme les sœurs cultes de The Shags, Doug Hream Blunt évoque tour à tour Love et un Velvet Underground caribéen, sans que l'on sache jamais bien si son but est une refonte avant-gardiste de la pop, ou de l'orfèvrerie classic rock qui tape toujours à côté. Bénéficiant sur les réseaux spécialisés d'un argus en augmentation constante depuis cinq ans, samplé par le très arty duo électronique londonien Hype Williams et adoubé publiquement par Ariel Pink - le musicien contemporain auquel sa musique ressemble le plus -, Doug Hream Blunt tombe finalement dans l'escarcelle du Luaka Bop de David Byrne, grande maison de l'étrangeté pop qui nous a déjà fait découvrir ou redécouvrir par le passé les très précieux Shoukichi Kina ou William Onyeabor.