«Pierre Boulez était un critique qui ne se laissait pas intimider par la notoriété des gens. Il avait une grande liberté de ton et de pensée. Cela lui a été souvent reproché.» En décrivant ainsi Boulez, le compositeur Philippe Manoury évoque son activité critique. Car, à côté de son parcours musical, Boulez a beaucoup écrit. Du «manifeste» Penser la musique aujourd'hui (1963), qui rassemblait ses conférences données à Darmstadt au tournant des années 60, aux Neurones enchantés (entretiens avec Philippe Manoury et Jean-Pierre Changeux), c'est une plume vivante et précise qui a autant désossé que construit, autant critiqué qu'expliqué.
«Boulez avait besoin de revendiquer. Beaucoup de ses ouvrages ont été écrits quand il était jeune. C'était une façon d'affirmer des convictions qui n'étaient pas dans les conventions», explique le compositeur Bruno Mantovani, qui continue d'aimer ses ouvrages, même dans leurs excès et leur modernité sans concession. Une analyse partagée par Laurent Bayle, président de la Philharmonie de Paris, qui estime que «les textes les plus importants sont à [s]on sens les premiers», ceux où se déploient la sève théorique et «la nécessaire rupture», du début des années 50 au milieu des années 60.
Spectre. Boulez le pédagogue laissait une large place à la critique ou l'analyse des autres, notamment dans le recueil Points de repère, tome II (Christian Bourgois), qui porte sur des compositeurs et des œuvres l'ayant marqué ou influencé. Un exemple entre mille, il nous alerte sur les écoutes horizontales ou verticales du premier accord de l'Or du Rhin, arpégé et finalement cyclique.
Un caractère professoral où finit par survenir aussi le quotidien du créateur. Car on peut voir au travers de ses écrits théoriques l'évolution de son parcours. «Nous avons tous été influencés par sa vision musicale. Son regard sur la modernité était très instructif, explique Philippe Manoury. L'homme, comme l'œuvre, ne laissait pas indifférent.» Un travail qui a profondément évolué au fil des années, construit autour d'un langage musical mouvant dont il rendait compte dans ses écrits, à la manière d'un miroir. Un journal de bord de ses traversées créatrices, où il réexplique, reprécise, peaufine le spectre des concepts. «C'est une seconde phase, qui découle peut-être aussi de son implication de chef», explique Bayle.
«Utopie». Sur la série initiée par Schoenberg, par exemple, il vante au début des années 60 son importance comme découlant de propriétés «psychophysiologiques acoustiques» chez l'auditeur. Position «d'une utopie formaliste sans efficacité directe» qu'il réfute donc finalement des années plus tard dans ses Leçons de musique, transcription réécrite de deux décennies d'enseignement au Collège de France (1976-1995). A travers les centaines de pages se dessine un assouplissement de ses principes, après des débuts très rigoureux. «Cela le rendait plus accessible au public, mais n'allait toutefois jamais dans le sens de la démagogie.»