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Interview

Zappa : «L’interprétation ne pourrait pas être meilleure que celle de Boulez»

Extraits d’interviews de Frank Zappa et de Pierre Boulez à l’occasion d’une série de concerts à Paris en 1984.

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Publié le 06/01/2016 à 20h01

Janvier 1984, Pierre Boulez dirige trois œuvres de la rock star Frank Zappa en sa présence. Deux journalistes de Libé à l'époque (Philippe Olivier et Patrice Bollon) qui ne cachent pas leur mépris pour l'expérimentateur américain - «Sa musique est un bon exercice de style, un peu inexpressif tout de même» - décrochent une interview exclusive avec Zappa et Boulez - toutefois interrogés séparemment.

Frank Zappa, comment l’idée d’une collaboration avec Pierre Boulez vous est-elle venue ?

Cela a pris trois ou quatre ans. A l'origine, j'avais envoyé à Pierre Boulez quelques partitions pour grand orchestre et lui avais demandé s'il pouvait les diriger. Il m'a répondu qu'il ne pouvait pas jouer ces œuvres avec l'Ensemble intercontemporain et m'a demandé d'écrire quelque chose pour un effectif plus réduit. C'est ce que j'ai fait avec The Perfect Stranger.

Pourquoi teniez-vous tant à ce que Boulez dirige vos œuvres ?

Principalement pour sa réputation d’exactitude rythmique. Mes morceaux comportent certaines difficultés dans ce domaine. En musique moderne, le plus grand problème consiste à trouver des exécutants qui puissent interpréter correctement des rythmes compliqués. La réputation de Boulez a toujours reposé sur cette préoccupation : c’était donc un choix naturel.

Quel profit entendez-vous tirer de la rencontre avec des musiciens classiques ?

S'il existe une activité humaine se traduisant à tous les coups par une perte d'argent, c'est bien la musique contemporaine… (rires).

Nous voulions parler d’un profit musical ou intellectuel…

Je ne pose pas la question dans ces termes. Si quelqu’un passe du temps à écrire de la musique, celle-ci doit être interprétée, et correctement. Mon seul intérêt dans ce cas précis est que l’interprétation soit bonne. Elle ne pourrait vraisemblablement pas être meilleure que celle de Boulez et de l’Ensemble intercontemporain.

Pierre Boulez, pourquoi cette collaboration inattendue avec Frank Zappa ?

Je suis intéressé par l’intrusion d’un style instrumental et de pratiques musicales différentes, se situant à l’extérieur du domaine «classique». Faire entrer ces pratiques l’une dans l’autre me paraît tout à fait captivant. Mais la condition que je mets à ce genre de collaboration consiste à ce que les partenaires en présence soient des professionnels. Les rencontres placées sous le signe d’un vague œcuménisme ne m’intéressent pas.

Frank Zappa n’est pas le seul compositeur à figurer au programme de votre concert. Quel est le motif de cette décision ?

Cela aurait été trop naïf d’interpréter exclusivement ses œuvres. Il m’a paru plus judicieux de placer Frank face à d’autres musiciens américains, tels que Charles Ives et Elliott Carter. Ce dernier est l’exacerbation parfaite du monde de la musique comme on le vit à l’intérieur d’une discipline régulière, académique résultant de l’enseignement traditionnel des conservatoires. Il est donc un anti-Zappa…

Quelles qualités musicales trouvez-vous aux œuvres de Frank Zappa ?

Tant qu’elles n’auront pas été jouées au concert du 9 janvier, je ne peux pas dévoiler leurs qualités. La surprise de l’audition ne doit pas être définie par anticipation.