Transformer de Lou Reed serait-il le meilleur album de David Bowie ? En 1972, l'Américain et le Britannique ont une relation artistique aussi brève qu'étincelante, qui relance la carrière du premier tandis que le second y révèle son flair de producteur. Cette collaboration trouve ses sources quelques années plus tôt. En 1966, le Velvet Underground, fondé à New York par Lou Reed et John Cale, commence tout juste à se faire connaître. Il enregistre, au printemps, une gravure en acétate de neuf des chansons qui figureront sur son premier album, The Velvet Underground & Nico. Cette gravure ne convaincra aucune maison de disque, et le Velvet devra attendre un an avant de la sortir. Entre-temps, l'acétate aura traversé l'Atlantique pour arriver dans les oreilles d'un homme : David Bowie, alors âgé de 19 ans, aspirant rock star. C'est son manager qui lui a donné cet enregistrement en décembre 1966. De cinq ans le cadet de Reed, Bowie est notamment frappé par I'm Waiting for the Man. Il la reprend aussitôt sur scène, la jouant donc avant même sa parution.
Ebriété. Le destin des deux hommes est déjà lié, mais la rencontre n'aura lieu qu'en septembre 1971. Lou Reed, proche de la trentaine, a quitté le Velvet pour retourner vivre chez ses parents, ayant visiblement abandonné toute ambition dans le rock. Agé de 24 ans, Bowie vient à New York pour signer avec RCA le contrat d'enregistrement de son quatrième album. Il demande alors à rencontrer son maître : «David courait toujours après les gens qu'il admirait, dont il pensait qu'il pouvait apprendre quelque chose», dira sa femme d'alors, Angie Bowie. Un dîner a lieu sous l'égide de la maison de disques, le courant passe. Quelques mois plus tard paraît Hunky Dory, carton critique et public, sur lequel figure Queen Bitch, un hommage revendiqué au Velvet. Dans la foulée, Reed, qui a aussi signé chez RCA, rate son premier essai en solo. Mais à l'été 1972, Bowie se propose de produire son nouvel album, qui sera Transformer. Pendant l'enregistrement, le Britannique et son guitariste, Mick Ronson, prennent tout en main, profitant de l'ébriété régulière de Reed. Transformer sera leur album autant que le sien. Bowie pose sa patte partout, met des «pam, pam, pam» à la fin de Satellite of Love. Quant à Walk on the Wild Side, son seul vrai tube, si Reed l'avait enregistré seul, «il n'y aurait pas eu de cordes, d'autant plus que ce n'était pas une partie que j'avais composée», dira-t-il plus tard.
Empêché. Le New-Yorkais adopte aussi le look androgyne de son nouveau mentor, s'enfermant dans une image qui n'est pas la sienne. Il est devenu la créature de celui qu'il a tant inspiré, et n'égalera jamais son succès. Leurs chemins se séparent aussitôt. Par la suite, on rapporte qu'ils se sont battus en 1979, mais ils monteront sur scène ensemble en 1997, lors du cinquantième anniversaire de Bowie, et achèveront leur drôle de parcours commun par le très beau Hop Frog sur The Raven, de Reed, en 2003. Le 27 octobre 2013, à la mort de ce dernier, David Bowie a commenté : «Il était un maître.» Empêché, l'autre ne lui a pas rendu la politesse.