Il est 12 heures, David Bowie se réveille au 155 de la Hauptstrasse, à Schöneberg. Il lui suffit d'ouvrir les yeux pour que la ville et ses possibilités lui appartiennent, lui qui a dû quitter Los Angeles pour se défaire de ses addictions. Iggy Pop dort encore : l'«Iguane» loue un appartement de l'autre côté de la cour du même immeuble, mais il n'est pas rare qu'il dorme chez son complice de désintox, qui ne sait que faire des sept pièces de son appartement.
12 h 30. Depuis que Bowie n'est plus sous coke 24 h sur 24, il arrive que la faim se fasse sentir. Avec le Stooges, il se rend au Paris Bar, à deux pas de la Savignyplatz. C'est là que les musiciens vont dès qu'ils se sentent d'humeur festive. Le restaurant, qui sort tout droit du tableau l'Absinthe, d'Edgar Degas, est le lieu parfait pour leurs extravagances.
14 heures. Direction le Hansa Studio, «by the wall». David Bowie pense à la chanson Hero, du groupe allemand Neu ! que Brian Eno admire tout autant. Depuis la Meistersaal, la salle d'enregistrement principale, il regarde, fasciné, le mur de Berlin par la fenêtre. C'est là qu'il aperçoit un couple qui s'embrasse sous les miradors : son producteur Tony Visconti et sa conquête du moment, la choriste Antonia Maass, seront les «lovers»… «kissing by the wall».
20 heures. Après un bref passage au Luzia, une ancienne boucherie reconvertie en repaire de punks et d'outsiders, Bowie et Iggy retrouvent leur nouveau guide de la nuit berlinoise, le peintre Martin Kippenberger au café Exil, au bord du canal, face à Neukölln. Là, ils jouent au billard dans la salle enfumée qu'ils considèrent comme leur deuxième salon.
22 heures. Kippenberger vient de prendre la tête du temple des punks du monde entier, le SO36, dans la Oranienstrasse. Il y fait jouer Lydia Lunch ou Throbbing Gristle, et Bowie et Iggy passent leur soirée dans la fosse, comme les anonymes qu'ils sont dans cette ville de béton.
Minuit. De retour à l'ouest, ils s'engouffrent dans la jungle de Berlin (le Dschungel), club autrefois comparé au Studio 54. Dans ce bâtiment typique du Bauhaus, la boîte de nuit à laquelle Bowie rendra hommage bien plus tard dans Where Are We Now ? s'est posée sur les cendres des performances d'Ella Fitzgerald ou Duke Ellington au sortir de la guerre. Le lieu était autrefois un club de jazz.
1 h 30. Bowie insiste pour se rendre Chez Romy Haag, discothèque tenue par sa maîtresse, dans laquelle il passe la plupart de ses nuits. L'artiste a rencontré Romy en 1976 lors d'un de ses concerts. Ces freaks se sont reconnus, et aimés au premier regard.
4 heures. De retour Hauptstrasse avec Romy, qui vit un temps avec lui c'est l'heure d'un dernier verre à l'Anderes Ufer, le bar voisin de leur appartement, le premier établissement gay de Berlin à avoir pignon sur rue, avec des grandes vitrines qui signifient qu'on ne doit plus se cacher.