Les théoriciens du complot l'ont vu tout de suite : il y a dans le clip de Blackstar des indices montrant que David Bowie est en contact avec les aliens. Pour un blogueur, le corps d'astronaute reposant sur une planète en carton-pâte est un de ces visiteurs interstellaires venus apporter le savoir sur Terre à l'époque maya. Un autre y voit l'annonce de l'apocalypse par la planète Nibiru. Mais ils ne sont même pas drôles, ces scénarios fantasmant Bowie en reptilien maléfique, face au personnage extraterrestre qu'il s'est construit dès le début de sa carrière.
Alunissage. Fasciné par l'exploration spatiale, le jeune Anglais invente un astronaute fictif en 1969 avec Space Oddity : «Ici Major Tom à Tour de contrôle / Je franchis la porte / Et je flotte d'une manière étonnante / Aujourd'hui les étoiles ont l'air très différentes»… La destinée de ce Major Tom est déprimante - condamné à errer dans l'espace pour toujours -, mais ça n'a pas empêché la BBC d'en faire la bande originale de l'alunissage d'Apollo 11. «Je crois qu'ils n'ont pas du tout écouté les paroles», plaisantait Bowie dans une interview en 2003. En plus, la Terre entière est convaincue que Space Oddity a été composé en hommage à Apollo 11, alors que cela n'a rien à voir : «Je l'ai écrite après avoir vu le film 2001, que j'ai trouvé extraordinaire.» Major Tom revient régulièrement dans la discographie de Bowie, et de nombreux artistes se sont approprié le personnage. On le retrouve dans Ashes to Ashes en 1980 («On sait que le Major Tom est un junkie»), on croit le reconnaître dans Hallo Spaceboy en 1996. L'astronaute s'est échoué sur la Lune : «Ta silhouette est stationnaire / La poussière lunaire te recouvrira.» Et est-ce son corps qu'on découvre en 2015 dans Blackstar, approché par une jeune femme à la queue de souris ?
En 1972, Bowie met en orbite un autre personnage spécial et spatial : il incarne Ziggy Stardust, un messager alien prônant l'amour et la paix, sur une Terre qui «se meurt vraiment» et n'a plus que «cinq ans» à vivre. Son origine extraterrestre devient la métaphore de l'ambiguïté sexuelle de la rock star galactique. The Rise and Fall of Ziggy Stardust fait un carton, et de Earthling à I Took a Trip on a Gemini Spaceship en passant par Fall Dog Bombs the Moon, une flopée de chansons seront marquées par cette obsession.
Sur grand écran, Bowie joue en 1976 l'Homme qui venait d'ailleurs - un petit homme vert déguisé en grand blond, qui remédie à la pénurie d'eau qui sévit sur sa planète en puisant dans les réserves terriennes. Bowie travaillait l'an dernier encore à une adaptation de cette histoire sous forme de comédie musicale. «Tout ce qui englobait l'espace me captivait naguère, mais c'est devenu un sujet de plaisanterie», disait-il à Libération en 2002.
Apesanteur. Depuis, il a entraîné dans sa marotte son fils Duncan Jones, qui a réalisé avec Moon (2009) un beau long métrage sur la solitude d'un astronaute détaché sur la Lune, et tous les passionnés d'astronomie dont il a peuplé l'imaginaire de ses rêveries spatiales. Les vrais astronautes ne sont pas les derniers à se revendiquer fans : en 2013, le Canadien Chris Hadfield a tourné depuis la station spatiale internationale le premier clip en apesanteur de l'histoire de l'humanité, en reprenant Space Oddity à la guitare. Et lundi matin, l'astronaute britannique Tim Peake était l'un des premiers à tweeter un hommage au chanteur depuis l'ISS : «sa musique a été une inspiration pour beaucoup de gens». Sur Terre et ailleurs.