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Libération
Electronique

Kyle Hall, un Detroit soleil

Enfant de la cité mère de la techno, l’Américain interroge, avec «From Joy», la trajectoire de cette musique pour mieux la renouveler.
publié le 18 janvier 2016 à 17h11

Les médias de référence ont pris l’habitude de présenter Kyle Hall comme le plus doué des héritiers de la nouvelle génération de producteurs de musique électronique de Detroit. Ce n’est pas rien. D’une étrange manière, tous les musiciens emblématiques de la ville mère de la techno existent d’abord aux yeux du monde mélomane comme les avortons d’une lignée aristocratique - peu importe leur degré d’éminence et leur appartenance à ses première (Juan Atkins, Derrick May, Kevin Saunderson), deuxième (Jeff Mills, Carl Craig) ou troisième génération (etc.). Si le terme de génération musicale veut dire quelque chose, Hall, 24 ans, fait en tout cas partie de celle qui aura grandi avec la musique des pionniers locaux dès le berceau, pouvant ainsi aborder l’épineux problème de son identité sans purisme déplacé, voire au deuxième degré.

Outrecuidance. Neveu du pianiste de jazz Roland Hanna, accompagnateur finaud de Sarah Vaughan, d'Art Blakey ou de Freddie Hubbard, Kyle Hall rapporte volontiers que son apprentissage de la musique électronique ne s'est pas fait au contact des disques de Juan Atkins, mais en écoutant à la radio des mix de ghetto tech, hybride salace de house accélérée, de hip-hop et de harangues pornographiques dont le plus célèbre représentant s'appelle DJ Assault. Il en a retenu quelque chose d'une outrecuidance délicieuse, et d'un sens étonnant de l'invention sonore.

Passé aux platines et à la production très tôt - il a sorti son premier disque à 16 ans et fondé Wild Oats, son label, à 17 -, Hall s’est distingué très vite par son aptitude à s’émanciper des dogmes historiques, notamment la séparation essentielle entre house et techno. Ainsi, sa musique n’est ni l’une ni l’autre, mais intensément liée à la tradition primordiale qui les unie depuis toujours. Remarqué en premier par Omar S., tête de mule dirigeant le label FXHE, autant connu pour sa minimal brutale que sa deep house très sophistiquée, Hall zigzague entre les styles et les héritages avec un naturel qui n’est pas seulement caractéristique des musiciens des années 2010, mais évocateur du Detroit Sound à son état primordial, avant que quelque journaliste ne se pique de le nommer et qu’il devienne un item officiel de la musique mondiale.

Coutume. Ça s'entend particulièrement sur From Joy, deuxième album jouissif et inventif, dont aucun des huit morceaux n'est réductible à une tradition précise de la musique électronique de Détroit (ou d'ailleurs), mais qui charrie un sens de la coutume qui manque à beaucoup de disques de techno entendus ces dernières années. Equipé d'un appareil sonore et onirique très limité - synthés bulbeux, piano de fortune, kits rythmiques chétifs - et d'un sens étonnant du hook mélodique, Kyle Hall rend hommage à des dizaines de héros, de Funkadelic jusqu'au producteur de r'n'b Teddy Riley, sans jamais sombrer dans la déférence. A la fois chaleureux et terriblement audacieux dans ses formes en renouvellement incessant, zone de confort et zone de combat, From Joy accède au gré des écoutes à cette catégorie très spéciale de disques qui donnent l'impression simultanée de visiter les vestiges historiques d'une ville et ses nouveaux quartiers.