«La contrebasse est restée ce qu'elle a toujours été, mais la basse électrique a évolué considérablement. De quatre cordes, on est passé à cinq et six cordes, c'est devenu courant. Il y a même des basses à 10 cordes, ce qui est un peu ridicule… Ensuite, il y a eu beaucoup d'évolutions technologiques dans les pédales, l'électronique, tout ce qui peut se connecter à la basse. C'est un jugement un peu ronflant, mais je pense que dans la manière de jouer, la basse électrique est l'instrument qui a le plus évolué au XXe siècle. Plus que le piano, la batterie, tout ce que tu veux.
«Quand j'ai commencé, l'idée qu'un bassiste électrique, en tant qu'instrumentiste, puisse être à la tête d'un groupe était juste impensable. Aujourd'hui, il y en a des milliers. Récemment, j'ai même croisé un bassiste soliste. C'est-à-dire qu'il n'a même pas de groupe, il joue juste tout seul ! Ça me semble fou, mais bon, c'est probablement parce que je suis trop vieux. C'est peut-être ça le futur ! (rires)
«Le problème, c’est que beaucoup de jeunes bassistes en jouent comme si c’était une guitare baryton. C’est naturel parce que c’est plus facile… De fait, leur force est dans leurs solos. Le souci, c’est qu’ils ne sont pas très solides quand il s’agit de jouer une bonne ligne de basse, d’être dans le rôle traditionnel de soutien. Sur une contrebasse, il y a moins ce risque. Il faut des années avant de pouvoir se lancer dans des solos virtuoses. Alors qu’avec une basse électrique, en deux ou trois ans on peut faire des choses assez spectaculaires. Cela dit, les jeunes contrebassistes sont bien meilleurs techniquement que nous ne l’étions à leur âge. Avec l’avènement d’Internet, le niveau technique n’a jamais été aussi bon. Il faut dire qu’à notre époque, on n’avait aucun moyen de voir les musiciens ailleurs qu’en concert ! Aujourd’hui, tout est en ligne.
«Au final, cette virtuosité peut devenir une distraction. D'ailleurs, je ne pense pas que l'innovation passe forcément par plus de virtuosité. L'innovation, c'est changer la donne, du jour au lendemain. Tu peux jouer un million de notes à la seconde sans jamais innover. En revanche, quand Larry Graham [à la fin des années 60, ndlr] a fait ce truc pourtant si simple de claquer son pouce sur la corde de mi et de tirer les cordes aiguës [la technique du slap, ndlr], il a tout changé. L'innovation n'est pas dans la virtuosité, elle est dans le son.»