Si l'on en croit les stats du géant du streaming Spotify révélées cette semaine, le hip-hop est le genre le plus populaire au monde. On ne va pas ergoter sur la définition retenue par le suédois pour faire le tri parmi ses 20 milliards de titres. Rap, r'n'b et leurs tentaculaires dérivés forment aujourd'hui un courant d'une nature si globale qu'elle phagocyte chaque jour un peu plus le concept de pop grand public, imposant ses arrangements dénudés et ses saccades trap jusqu'à une forme d'abstraction harmonique quasi-nihiliste.
En réaction, on ne s'étonnera pas de voir fleurir ici et là des bataillons de rétromaniaques partis (re)visiter les crevasses baroques d'âges d'or plus ou moins oubliés. Illustration en deux albums de puristes hip-hop devenus antiquaire soul par la force des choses. Premier cas d'école : Charles X (comme Malcolm et non le roi de France), crooner californien de 25 ans actuellement en tournée en France, avant la sortie de son deuxième album mi-mars. Intitulé Sounds of Yesteryear («les sons du temps jadis»), le disque explore les canons jazzy du «rap conscient» du début des nineties (A Tribe Called Quest, De La Soul…) et sa première renaissance, le mouvement nu-soul des années 2000, personnifié par D'Angelo, revenu des limbes en 2015 avecBlack Messiah.
Dubitatif. Charles X est d'ailleurs à son meilleur quand il puise à cette source - voix éraillée sur arrangements restreints cherchant à assombrir le groove. Son flow, techniquement solide mais fade sur les morceaux non chantés, laisse plus dubitatif. En essayant de démontrer l'étendu de sa maîtrise de la Great Black Music, Charles X se perd parfois dans l'imitation, tel un sous-Maxwell, mais fait miroiter un potentiel certain. A suivre, à condition de sortir de l'exercice de style mal assumé.
Gainsbourg. A l'inverse, Adrian Younge a su choisir. Le multi-instrumentiste de 37 ans pointe depuis quelque temps déjà son microscope fétichiste sur une période bien précise de la soul, les années 1968-1973, marquées par l'ampleur symphonique de la blaxploitation et le psychédélisme rock. Plébiscité par les pointures du rap (il a produit, entre autres, Snoop Dogg, a été samplé par Jay-Z et a été directeur musical de la tournée du Wu Tang en 2015), respecté par les anciens (il était aux manettes pour le retour des Delfonics en 2013), Younge, par ailleurs grand admirateur d'Ennio Morricone, fabrique seul sur ses claviers, guitares et autres cuivres vintage des bandes originales de films qui n'existent que dans sa tête (à l'exception du parodique Black Dynamite, 2009).
Pochette érotique à la Ohio Players, reverb à tout va et vibraphone : Something About April II n'oublie aucun détail dans sa reconstitution historique. Avec toujours une mentalité de sampleur : l'album semble se composer d'extraits d'obscures trouvailles, impression renforcée par la brièveté des titres (sous les trois minutes). Avec en sus, un clin d'œil à Gainsbourg et son Histoire de Melody Nelson, autre grande BO funk imaginaire.